Alex Dorval – Le communautaire : un tigre dégriffé ? – Dossier Février 2021

Alors que l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux accuse le ministre Lionel Carmant de « dérouler le tapis rouge au secteur privé », les conditions des travailleurs.euses communautaires en santé mentale, quant à elles, n’arrivent même pas à la cheville de celles du secteur public (CIUSSS).

Perte de stabilité

« L’important en santé mentale c’est la constance et la stabilité. Si notre personnel change, on n’a pas cette stabilité-là. », laisse tomber Yves Blanchette, directeur du Regroupement des organismes de base en santé mentale de la région sociosanitaire 04 (ROBSM-MCQ). Ce regroupement représente 30 organismes communautaires offrant en Mauricie/ Centre-du-Québec, divers services en santé mentale : entraide, soutien aux parents et proches, hébergement, prévention du suicide, soutien au travail et soutien au logement.

Cette perte de stabilité se fait directement sentir tant chez ceux et celles qui bénéficient des services que chez les proches et bénévoles. « Je le vois chez les proches. Quand il y a un changement d’intervenant dû au roulement de personnel, ça crée de l’insécurité et ça demande une période d’adaptation d’une durée souvent plus longue que le roulement d’employé.es. », témoigne Line, parente d’une personne vivant avec des troubles de santé mentale et bénévole au ROBSM-MCQ.

« On veut une réponse structurelle »

Selon M. Blanchette, le moral des troupes inquiète grandement le milieu communautaire et les attentes sont grandes envers les gouvernements. « Nous vivons une crise structurelle. Ça n’allait pas si bien que ça. Y’a une crise et ça va encore plus mal. La réponse est actuellement ponctuelle. On souhaite qu’il y ait une réflexion sociale qui nous amène vers une réponse structurelle. On sait que la situation va s’étendre jusqu’à 5 ans au-delà de la crise, et on sait que la tâche de rattraper ça va incomber aux organismes en santé mentale. », lance-t-il.

M. Blanchette insiste : « Ces gens-là vont avoir besoin de service dans leur quotidien et c’est le communautaire qui fait ça. Présentement on le fait sur la sueur de nos employé.es parce qu’on n’a pas les moyens de les rémunérer adéquatement. ».

Le 17 février se tiendra, surtout sur le web, une série d’actions unitaires dans le cadre de la campagne Engagez-vous pour le communautaire.

Qui paye le prix de la vocation ?

Lorsqu’on lui demande comment expliquer l’écart entre les conditions de travail du communautaire et celles du réseau public, M. Blanchette y va d’un diagnostic accablant : « On se fait beaucoup sous-traiter, on se fait beaucoup envoyer des dossiers avec un financement et des grilles d’honoraires qui ne sont pas adéquats, mais parce qu’on est des gens de mission et de vocation on le fait. »

Or, les gestionnaires rencontrés nous ont tous confié leur désarroi face la reconnaissance de la « juste valeur » du travail de vocation. Le milieu se questionne à savoir :  qui paye vraiment le prix de la vocation ? Ceux qui commandent le service et l’expertise (l’État) ou ceux qui l’octroient (travailleurs.euses et gestionnaires du communautaire) ? Comment le fait de mettre le cœur à l’ouvrage peut-il en venir à justifier des conditions au bas de l’échelle ?

La remise en question par le mouvement communautaire de cette « dynamique contractuelle » entre le réseau public – c’est-à-dire l’État – et les organismes communautaires est au cœur des constats du rapport Précarité au travail et pratiques de gestion dans le mouvement de l’action communautaire autonome publiée à l’automne dernier par le Groupe de recherche interuniversitaire et interdisciplinaire sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS),

« Un dilemme cornélien »

De ce rapport du GIREPS, piloté par les chercheur.euses Mylène Fauvel et Yanick Noiseux, émerge des constats similaires aux témoignages que nous avons récoltés chez les organismes de la région 04 dans le cadre de notre dossier.

Pour Mylène Fauvel, c’est la « logique comptable » imposée par les bailleurs de fonds (États, Fondations caritatives) et les balises de leurs ententes de service qui empêchent les organismes d’accomplir leur mission tout en améliorant les conditions de leurs travailleur.euses.

« N’attendez pas que nos intervenants deviennent nos clients. On a juste besoin pour la même qualité de service d’avoir le même potentiel de payer nos employés. On demande quelque chose de partial avec le réseau. » – Yves Blanchette, directeur du ROBSM-MCQ

« On peut questionner la relation contractuelle qui s’établit avec le gouvernement qui se vire vers les organismes communautaires en tant que prestataires de service pour répondre à des besoins. Le communautaire voit peut-être d’autres priorités, d’autres manières de faire. La dynamique actuelle démobilise le communautaire et on laisse de côté la transformation sociale. », soulève Mme Fauvel.

Le rapport fait également état du « dilemme cornélien » au cœur de la question des conditions des travailleurs.euses du communautaire :

« …lorsque l’organisme semble disposer d’une certaine marge de manœuvre financière, la plupart des travailleur.euses se retrouvent face à un choix déchirant : demander l’amélioration de leurs conditions de travail ou maintenir et développer des services et activités permettant d’accomplir adéquatement la mission de l’organisme. C’est cette tension entre conditions de travail et mission de l’organisme que nous appelons un dilemme cornélien, c’est-à-dire un dilemme sans issue. » – Rapport du GIREPS – Mylène Fauvel et Yanick Noiseux

La solution ?

La solution ? Et bien elle ne surprendra pas. Tous les intervenants rencontrés ont martelé la revendication d’un rehaussement significatif du financement à la mission ainsi que la remise en question de cette dynamique « top-down » où l’État commande au communautaire en imposant ses besoins, ses méthodes et surtout, ses budgets. Il leur apparaît complètement illogique qu’on ait recours aux « services » du communautaire lorsque le réseau public déborde, de la même façon qu’on a recours au secteur privé, avec en moins un budget réduit parfois à 2 fois moins que celui du réseau public, étant lui-même la plupart du temps, 2 fois moins que celui qu’on finit par dépenser lorsqu’on choisit de se tourner vers le privé.

« On a juste besoin pour la même qualité de service d’avoir le même potentiel de payer nos employés. On demande quelque chose de partial avec le réseau. », lance Yves Blanchette, directeur du ROBSM-MCQ.

Notons également au passage que le rapport du GIREPS fait état d’un manque à gagner en termes de leviers de représentation et négociation collective au sein du mouvement de l’action communautaire autonome.

Au-delà de la politique de reconnaissance

En mars 2021, le gouvernement québécois procédera à la première mise à jour en 20 ans de sa Politique de reconnaissance de l’action communautaire autonome. Or, les attentes sont grandes du côté du communautaire afin de voir au-delà d’une simple « reconnaissance symbolique ».

Engagez-vous pour le communautaire

Actuellement, plus de 4000 organismes communautaires autonomes font face à d’importants enjeux de sous-financement et d’atteintes à leur autonomie, compromettant ainsi leur mission de transformation sociale. Voici deux événements à mettre au calendrier pour suivre les revendications du milieu communautaire.

Le 17 février se tiendra, surtout sur le web, une série d’actions unitaires dans le cadre de la campagne Engagez-vous pour le communautaire.

Les 22-23 et 24 mars, le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) vous convie au Forum VOIR GRAND, espace de réflexion et de ressourcement collectif visant à dynamiser l’action politique de l’ACA et actualiser les pratiques de façon cohérente avec les enjeux sociaux et les cadres d’analyse de l’heure.

À noter également que l’équipe du GIREPS travaille actuellement sur une deuxième phase de son étude afin d’évaluer les conséquences de la pandémie sur les conditions de travail et les pratiques de gestion du mouvement communautaire autonome.

Sources 

  • Entretien avec l’équipe du Regroupement des organismes de base en santé mentale Mauricie/Centre-du-Québec (ROBSM-MCQ) :

Yves Blanchette – directeur ROBSM

Line – parent d’une personne concernée, partenaire au ROBS

Michael – Réseau d’habitation communautaire de la Mauricie

René Sicard – Personne concernée, pair-aidant du ROBSM

Suzy Jean – Le Tremplin, Drummondville

  • Entretien avec Marie-Line Audet, directrice Table nationale des corporations de développement communautaires
  • Entretien avec Sylvain St-Onge, directeur Table régionale des organismes communautaires en santé et services sociaux Cemtre-du-Québec Mauricie (TROC-CQM)
  • Entretien avec Mylène Fauvel, Groupe de recherche interuniversitaire et

interdisciplinaire sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS)

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