Éditorial – février 2022
Jean-Claude Landry, Marc Langlois, Marjolaine Cloutier, Valérie Delage
Le gouvernement Legault sortait récemment un nouveau lapin de son chapeau avec cette idée de faire payer, via la fiscalité, les personnes non adéquatement vaccinées. Une idée plutôt bien accueillie chez une population « tannée » des règles sanitaires et qui s’est fait dire « ad nauseam » que les irréductibles de la vaccination portaient la responsabilité de cette situation. Une mesure dont l’efficacité reste à démontrer et dont on se demande si elle poursuit un objectif sanitaire ou électoral.
Il demeure que l’idée a soulevé un débat de valeurs au sein des milieux dits progressistes. Il n’est donc pas étonnant que ce débat se soit invité à la table éditoriale du journal quand il s’est agi de définir une position commune face à ce projet. Où tracer la ligne entre la défense de l’accès universel aux services publics et l’obligation de solidarité sociale pour le bien commun ? Sans oublier les interrogations sur la dimension éthique d’un tel projet et son caractère éminemment clivant.
Pour les uns, la proposition d’une taxe santé équivaut à faire porter à une catégorie de citoyens la responsabilité des problèmes d’un système de santé défaillant en raison de décisions politiques malheureuses et de choix de gestion antérieurs. Cibler ainsi les non-vaccinés, c’est ignorer que la santé est d’abord déterminée par des facteurs qui dépassent les choix individuels tels le niveau de revenu, l’environnement physique, le niveau d’éducation et de littératie sans oublier les expériences vécues pendant l’enfance. Un transfert de responsabilité et une ignorance qui ont pour résultat d’individualiser un problème de nature collective.
Pour les tenants du principe de la solidarité sociale, on ne peut se déresponsabiliser de choix ou de comportements individuels préjudiciables au bien commun. Conduire avec des facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue, disposer illégalement de matières dangereuses, faire l’achat de grosses cylindrées polluantes, tout cela implique des coûts économiques, sociaux, voire environnementaux, que l’ensemble des concitoyens doivent assumer. Celles et ceux qui font ces choix ou qui posent ces gestes ne peuvent se soustraire à leur responsabilité. Mais, si elle devait voir le jour, la taxe à la vaccination devrait nécessairement, par souci d’équité, tenir compte du niveau de revenu des citoyens visés.
Mais au-delà de ce débat de valeurs, l’équipe éditoriale s’est interrogée à propos de l’impact d’une telle mesure sur les plus vulnérables de notre société. Un accompagnement psychosocial de nos concitoyens et concitoyennes qui souffrent, qui ont peur de médicaments, qui vivent des problèmes de santé mentale ne serait-il pas plus profitable qu’une taxe punitive ? Bien fait, un tel accompagnement permettrait de mieux connaître les personnes non vaccinées, de mieux comprendre leurs réticences et d’identifier des solutions plus adaptées.
Au final ce sont les angles cachés de la proposition gouvernementale qui agacent. Ceux-ci ont l’avantage de faire passer au second plan la triple faiblesse structurelle de notre réseau de santé.
- Un réseau à la fois sous financé, en raison des refus successifs d’Ottawa. Mais aussi mal financé. Le coût des médicaments est parti en vrille depuis plusieurs années et Québec dit non à la mise en place d’un régime universel d’assurance médicaments qui ferait épargner des milliards au trésor public. Et que dire des privilèges financiers accordés au corps médical alors qu’on a imposé un régime minceur à une Santé publique qu’on appelle au secours aujourd’hui.
- Un réseau hospitalo-centrique dans un état de désorganisation avancée, conséquence d’un processus de fusions répétées qui s’est amorcé dès les années 1990. Et qui s’est accéléré au cours de la dernière décennie pour aboutir à des établissements « mammouth » devenus incapables de souplesse et de réponses rapides aux besoins des communautés.
- Un réseau dont le mode de gestion, calqué sur le fonctionnement de l’entreprise privée, qui peine à distinguer les attitudes et comportements attendus chez l’un et chez l’autre alors que la fonction du premier est de « prendre soin » et non celle « d’alimenter la chaîne de production » ; une fonction propre au second.
Pointer des boucs émissaires a, bien sûr, cet avantage d’éviter que soit porté un regard plus attentif sur les causes de l’actuelle situation.