Si la CAQ parvient à faire adopter le projet de loi 69, qui ouvre la porte à  une privatisation d’Hydro-Québec, cela pourrait faire passer la production privée d’électricité au Québec de 4,9 % à 19 %, entraînant des pertes de trois milliards de dollars par année en redevances versées par Hydro-Québec au gouvernement ! Ce spectre est l’occasion de revenir sur les origines de la nationalisation de cette richesse liquide. 

Les premiers pas

La Mauricie est un pionnier dans le développement de l’hydroélectricité, notamment avec le barrage Shawinigan 1, construit de 1899 à 1909 par la compagnie Shawinigan Water and Power Company (SWP), fondée par des industriels canadiens et états-uniens en 1898. La SWP sera d’ailleurs pendant un demi-siècle la plus importante entreprise de production, de transport et de distribution d’électricité au Québec. En 1902, l’inauguration d’une ligne électrique pour relier les zones urbaines de la ville de Montréal devient « une première en Amérique pour ce qui est de la combinaison distance, tension et puissance ». [1]

Dans l’entre-deux-guerres, les compagnies d’électricité québécoises sont privées et essentiellement anglophones. Ces monopoles agissent de connivence et fixent les prix à la hausse avec des tarifs exagérés. De plus, il n’y a alors pas de place pour les francophones parmi les ingénieurs ou les cadres. [2] On se rend compte que les ressources hydrauliques du Québec devraient appartenir au peuple du Québec et que le gouvernement devrait en tirer profit.

Dès le 9 mars 1933, avec la publication du manifeste politique de l’École sociale populaire, intitulé Le Programme de restauration sociale, une part de l’élite intellectuelle préconise la nationalisation de l’électricité. Sur le plan politique, cet appui provient surtout de la voix de certains députés libéraux tels que le docteur Philippe Hamel (1884-1954), Télesphore-Damien Bouchard (1881-1962) et Oscar Drouin (1890-1953), dans cet ordre.

La maturation d’un projet

Avec son courage politique et combattant la propagande des compagnies privées, le libéral Adélard Godbout (1892-1956) se fait élire Premier ministre du Québec en octobre 1939 en dénonçant ces grands monopoles (ou trusts) qui représentent selon lui une « dictature économique crapuleuse et vicieuse ». [3] Avant la fin de son mandat, il crée la Commission hydroélectrique du Québec, le 15 avril 1944. C’est en quelque sorte la naissance d’Hydro-Québec, et une première nationalisation permet à l’État québécois de prendre le contrôle de la Montreal Light, Heat and Power, qui exerçait un monopole impopulaire et décrié sur la vente d’électricité et de gaz dans la région de Montréal. Coût : 4,5 millions sur trois ans.

Hydro-Québec a une double mission : la rentabilité économique, mais aussi une certaine mission sociale, notamment grâce aux redevances annuelles qu’elle doit verser à l’État. En 1945, Maurice Duplessis crée l’Office de l’électrification rurale du Québec, en réponse au mécontentement des gens en région contre les compagnies privées d’énergie et favorise la création de coopératives d’électricité. En 10 ans, le pourcentage des fermes éloignées qui peuvent profiter de l’électricité passe de 19 % à 90 %. Toutefois, il faut attendre la Révolution tranquille à partir de juin 1960 pour que ce projet puisse véritablement prendre son envol et servir enfin les intérêts québécois.

La fin de l’aliénation énergétique

En 1960, Hydro-Québec n’est responsable que du tiers de la production québécoise totale. L’empire électrique privé s’accapare des deux autres tiers, domine la mise en valeur de l’énergie québécoise et exporte ses profits. [4] En janvier 1962, l’économiste et fonctionnaire Michel Bélanger publie son livre bleu sur la nationalisation de l’électricité et démontre sa rentabilité.

Avec l’arrivée du gouvernement libéral de Jean Lesage comme premier ministre du Québec et son « équipe du tonnerre », l’État québécois opère un virage important vers davantage d’autonomie et de prise en charge des affaires sociales. C’est lors d’un lac-à-l’épaule avec ses députés, les 4 et 5 septembre 1962, que Lesage décide de déclencher des élections anticipées à caractère référendaire, en novembre 1962, sur le thème précis de la nationalisation de l’hydroélectricité avec le célèbre slogan « Maintenant ou jamais – Maîtres chez nous », une étape-clé dans le développement de la Révolution tranquille.

Le PLQ remporte la victoire dans 62 comtés, soit 11 de plus qu’en 1960. Le projet d’indépendance économique peut débuter. Aussitôt devenu le nouveau ministre des Richesses naturelles, René Lévesque demande au jeune avocat Jacques Parizeau de crédibiliser le projet au niveau économique et sur le plan financier. Afin d’assurer le succès du projet et de ne pas dépendre des banques canadiennes, Parizeau se rend à New York pour rencontrer Wall Street. Il rassure les investisseurs et demande 303 millions de dollars, et on lui offre finalement un premier crédit de 350 millions. La négociation aura duré seulement 25 minutes. C’est un moment historique.

Quelques semaines après l’obtention d’un mandat majoritaire par le Parti libéral, le 28 décembre 1962, jour de la fermeture des marchés afin d’éviter la spéculation, Hydro-Québec dépose son offre publique d’achat pour 604 millions de dollars (environ cinq milliards en dollars constants). Les compagnies rechignent, mais acceptent finalement. Le 30 avril 1963, Hydro-Québec acquiert les actions de 11 importantes compagnies privées d’électricité. Le 1er mai, Hydro-Québec devient propriétaire au nom de cinq millions de Québécois, et est l’une des plus grosses entreprises au Canada. C’est le début officiel de la nationalisation de l’électricité. L’Ontario l’avait déjà fait en 1906-1907, c’était maintenant à notre tour de nous enrichir considérablement et de propulser de nombreux francophones à des postes d’influence tout en développant une expertise aujourd’hui reconnue partout dans le monde.

Avant la fin de la première année, 500 000 abonné-es voient leur facture mensuelle réduite. En Gaspésie, les écarts tarifaires sont rétrécis jusqu’à 35 %. En 1965, les Québécois et les Québécoises bénéficient des tarifs les plus bas en Amérique. L’année suivante, Hydro-Québec est la première firme industrielle québécoise avec 17 000 employé-es, un actif de 2,5 milliards de dollars et des ventes atteignant le quart de milliard. [5]

La fierté du Québec

Le Québec fait alors preuve d’innovation technologique afin d’exploiter les ressources durables de son territoire. En 1965, Hydro-Québec met au point la première ligne commerciale à 735 000 volts pour relier les centrales du complexe Manic-Outardes aux régions urbaines de Québec et de Montréal. Pour amener l’électricité, l’ingénieur Jean-Jacques Archambault doit hausser le niveau de la tension, alors il invente la ligne à haute tension kV, qui est une première mondiale et suscite l’intérêt de la communauté internationale. Cette technologie permettra de développer d’autres projets à la Baie-James et ailleurs, permettant de produire de l’énergie verte (car renouvelable) dans les régions nordiques et d’éviter ainsi de construire des centrales thermiques près des centres urbains.

Autre exemple, le barrage Manic-5, mis en service en 1970 et rebaptisé barrage Daniel-Johnson (longueur de 1 314 mètres, capacité initiale de 1 292 mégawatts), est encore aujourd’hui le plus grand barrage à voûtes et contreforts du monde ! Hydro-Québec est rapidement devenue le navire amiral de notre développement. Aujourd’hui, cette entreprise est la championne mondiale de son secteur en plus de gérer la plus grande réserve d’énergie propre de tout le continent. [6] Ainsi, l’audace québécoise et notre ingéniosité collective nous ont permis de nous démarquer et de nous affirmer comme nation. Il ne faut pas oublier qu’Hydro-Québec est une preuve que nous pouvons nous tenir debout.

 

Sources et références
[1] https://gazettemauricie.com/des-pionniers-audacieux/
[2] Martine Rodrigue, conseillère en gestion de l’information du Centre d’archives d’Hydro-Québec. Chaîne YouTube de l’historien Laurent Turcot : https://youtu.be/jIBX-Ca2D20?si=47MWsBOGBkOlaUKh 
[3] « Comment le Québec a nationalisé l’électricité sans argent », 7 jours sur Terre, 30 avril 2021, 14 min.
[4] René Lévesque  Quelque chose comme un grand homme. Bande dessinée, Moelle Graphik, 2021, p. 97.
[5] Ibid., p. 145. 
[6] Ibid., p. 146.

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