Par Valérie Delage, avril 2017
La montée du nationalisme dans divers pays occidentaux et les sorties publiques de plus en plus assumées de groupes d’extrême droite sont pour le moins préoccupantes. Pour ma part, la haine de groupes ciblés me laisse toujours perplexe.
Il y a quelques semaines, marchant dans la rue avec deux jeunes enfants, je me suis retrouvée à contre-courant d’un groupe de gens portant des foulards noirs sur le visage, qui brandissaient des drapeaux rouges et des pancartes revendiquant la liberté d’expression. Cette « rencontre » m’a immédiatement donné froid dans le dos et j’ai instinctivement serré contre moi les jeunes qui m’accompagnaient. Pourtant, je prends part régulièrement et sans crainte à des manifestations où les enfants de tous âges sont bienvenus. Mais cette fois, j’ai eu peur! J’ai ressenti un profond malaise et j’ai eu les jambes molles, comme une réaction presque atavique à des réminiscences de Deuxième Guerre mondiale. En effet, ayant grandi en France, entourée de gens porteurs des stigmates de cette époque, éduquée par des documentaires parfois beaucoup trop explicites, j’ai imaginé très tôt comment on pouvait se sentir lorsqu’on croisait des gens porteurs de haine et de pouvoir de répression. C’est l’une de mes plus grandes peurs, que je tente de combattre au quotidien : le retour d’un monde où l’on vivrait dans le stress et l’angoisse permanente d’être qui on est, et de devoir s’en cacher.
Je ne comprends pas cette haine envers certaines catégories de gens. Je me l’explique seulement par un manque de confiance en sa propre identité. La fameuse « identité québécoise » qui fait couler tant d’encre ces jours-ci. Elle reste difficile à saisir ou à définir pour moi, en tant qu’immigrante. En fait, je perçois cette identité comme plurielle, si bien que je me demande toujours à quoi exactement font référence ceux qui clament : « c’est à eux de s’intégrer et de vivre comme nous! », tant il y a de « nous » au Québec. Cependant, dès mon arrivée au Québec il y a plus de 20 ans, j’ai eu la perception d’un peuple fort, ouvert, résilient et très créatif, qui a toujours su rebondir suivant les aléas de son histoire.
Plusieurs nationalistes justifient leur fermeture à l’immigration par la défense du français. Or, les nouveaux arrivants sont pour la plupart avides de maîtriser cette langue pour trouver un emploi rapidement. Alors pourquoi ne pas plutôt investir de l’énergie pour revendiquer de meilleurs services de francisation au lieu de se fermer aux autres? La plupart des immigrants que je côtoie – oublions les exceptions – sont tout aussi intéressés que moi à comprendre cette identité québécoise et à en être partie prenante. Ils ont soif de faire partie intégrante de leur nouvelle société tout en conservant leurs particularités culturelles d’origine. C’est ce qui fait selon moi la richesse de l’intégration. Et la société québécoise ne peut donc que s’enrichir et se renforcir de l’accueil des immigrants.
En tant que québécoise d’adoption, je milite pour une société québécoise distincte parce que je la perçois comme telle et veux la mettre en valeur ainsi. Mais il ne sert à rien de se refermer sur soi, car c’est tout le contraire de la caractéristique d’ouverture propre à l’identité québécoise, du moins telle que je la vis. Avoir confiance que cette identité est forte, adaptable et inclusive, contribuer à un pays qui accueille également les forces et les différences de chacun, travailler à un Québec où règnent la justice sociale et la conscience environnementale, voilà le projet de société qui me motive encore et toujours.