Alain Dumas – Économie – décembre 2021 Depuis un an, l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 4,7 %, soit le taux d’inflation le plus élevé depuis 2003. Considérant que la cible d’inflation de la Banque du Canada est de 2 %, et que son principal outil pour juguler l’inflation est le taux d’intérêt, plusieurs se demandent si nous sommes à la veille d’une hausse importante des taux d’intérêt et par le fait même des coûts d’emprunt. Pour répondre à cette question, on doit évaluer si l’inflation actuelle est temporaire ou en train de s’installer durablement . Lorsqu’on examine les secteurs les plus touchés par l’inflation actuelle, les hausses les plus importantes reposent sur quelques composantes : transports (+10,1 %), énergie (+25,5 %), essence (+41,7 %), autos (+6,1 %) et habitations (+4,9 %). Le tableau ci-contre montre deux choses importantes. D’une part, l’inflation serait proche de 3 % sans la hausse extraordinaire du prix de l’énergie qui pèse lourd dans l’IPC. D’autre part, on constate que l’inflation élevée en 2021 a été précédée d’un effondrement des prix en 2020, ce qui explique que le taux d’inflation sur une période d’un an soit si élevé. C’est pourquoi, selon une étude de la Banque Scotia, l’inflation anormalement basse en 2020 explique en bonne partie (71 %) la forte inflation en 2021.
Tableau : Évolution récente de l’inflation au Canada
Source : Statistique Canada, Indice des prix à la consommation, 17 novembre 2021.
Une reprise disproportionnée
Au-delà de l’effet mécanique des écarts de prix entre 2020 et 2021, la poussée inflationniste actuelle est alimentée par une reprise disproportionnée de la demande et de la production (ou l’offre). Du côté de la demande, puisque la pandémie a contraint les gens à restreindre leurs dépenses et à accumuler une épargne considérable, l’assouplissement des mesures sanitaires en 2021 a eu comme conséquence de faire exploser rapidement la demande, qui atteint des niveaux records depuis 50 ans. Les achats d’habitations et de biens durables comme l’automobile, les équipements ménagers et les ordinateurs (en raison du télétravail et des cours à distance) ont eu la cote.
Du côté de l’offre, la reprise de la production est plutôt chaotique et donc plus lente que celle de la demande. Ainsi, la production de pétrole n’arrive pas à suivre la cadence de la reprise, causant une explosion des prix de l’énergie. Par enchaînement, les prix des matériaux dérivés (comme le plastique) et les coûts de transport par bateau se sont aussi envolés. À cela s’ajoutent des arrêts sporadiques de nombreux sites de production en Chine et ailleurs dans le monde, ainsi qu’une pénurie de conteneurs et des ports embouteillés qui attisent encore plus les coûts de transport et l’allongement des délais de livraison. Voilà qui explique les perturbations, jusque-là temporaires, de la chaîne mondiale d’approvisionnement.
Une mondialisation grippée
Les déboires actuels de la production mondiale s’expliquent aussi par quelques effets pernicieux de la mondialisation extrême, soit la forte concentration industrielle et la segmentation des étapes et des lieux de production dans le monde. En effet, si plus de la moitié du commerce international est constitué de pièces et de composantes destinées à une autre étape de transformation ou d’assemblage, un petit nombre d’usines très dispersées dans le monde fournissent des clients très éloignés. Dans l’électronique, le nombre de fabricants de semi-conducteurs est passé de 25 en l’an 2000 à seulement trois aujourd’hui. Et comme la production d’une puce informatique comprend jusqu’à 1 000 étapes et 70 déplacements internationaux, il suffit d’un ralentissement temporaire de la production dans quelques usines pour interrompre la chaîne mondiale d’approvisionnement et accumuler des retards qui mettent des mois à être résorbés, causant des pénuries de pièces. Dans l’industrie automobile, on estime les coûts associés à de telles perturbations (comme les ventes perdues) à plus de 200 milliards de dollars US.
Les risques futurs
Si la poussée inflationniste semble temporaire en raison des problèmes mentionnés précédemment, tout indique qu’elle pourrait se reproduire dans un avenir rapproché, car bien avant la pandémie, les chaînes mondiales de production devenaient plus risquées et plus coûteuses en raison d’une intensification des conflits commerciaux et politiques, des catastrophes naturelles et des crises économiques plus fréquentes. Selon McKinsey Global Institute, les pertes moyennes associées à ces risques équivalaient à 42 % des profits d’une année tous les 10 ans. Reste donc à savoir si l’affaiblissement de la concertation mondiale et l’instabilité géopolitique observée depuis quelques années pourraient entraîner une réorganisation (et une donc perturbation) des chaînes mondiales d’approvisionnement, et par le fait même des vagues inflationnistes.