Collaborateurs et complices dans la vie, Lucie Joubert et Marcel Olscamp ont consacré leurs carrières respectives à la mise en valeur du patrimoine littéraire québécois. La Gazette a recueilli leurs propos sur l’histoire et le futur des lettres québécoises. Vous pouvez lire le premier article de cette série sur Lucie Joubert en cliquant ici, ce deuxième article de la série portant sur Marcel Olscamp.
Abitibien d’origine, Marcel Olscamp a étudié à l’UQTR et formé des cohortes de passionné-es de littérature québécoise dans diverses institutions, y compris l’UQTR, McGill et principalement à l’Université d’Ottawa. Spécialiste et biographe de l’auteur louisevillois Jacques Ferron, il a produit des éditions commentées de ses romans et contes, mais aussi de plusieurs textes restés jusque-là inédits. Récipiendaire de plusieurs prix, il a également publié des essais et de la poésie, notamment aux Écrits des Forges et à la revue Le Sabord.
Récemment retraité, Marcel Olscamp se consacre à la mise en valeur des archives littéraires québécoises. Il travaille maintenant, avec Lucie Joubert, à l’édition de la correspondance entre Jacques Ferron et l’essayiste Jean Marcel (1941-2019), qui s’est fait connaître notamment par l’essai-choc Le joual de Troie en 1973.
La Gazette – Jacques Ferron est moins connu des jeunes générations. Comment le présentez-vous de sorte à ce qu’on puisse saisir son importance et sa contribution?
Marcel Olscamp – Je dirais que Jacques Ferron est un « auteur-monde », comme on parle des « villes-monde »; chaque lecteur, d’où qu’il vienne, est sûr de trouver ce qu’il cherche (ou non) dans ses livres. C’était un érudit, un écrivain extrêmement prolifique, et il a pratiqué presque tous les genres littéraires. D’un point de vue social, il se définissait d’abord comme « un solitaire dans un carrefour » : il fut un passeur de culture, s’inspirant des très grands mythes de l’humanité tout autant que de la très petite histoire locale – celle du comté de Maskinongé, par exemple. Le Dr Ferron fait preuve, dans certains récits, d’une irrésistible drôlerie, alors qu’on peut trouver, quelques chapitres plus loin, des pages déchirantes, pleines de compassion pour la misère humaine.
La Gazette – Comment voyez-vous l’avenir du travail d’archives, dans une époque où le numérique prend une place prépondérante?
Marcel Olscamp – Autrefois, la notion d’« auteur » était toute relative et les écrivains accordaient peu de valeur à leurs manuscrits. Ils ont commencé à s’intéresser à leurs propres papiers aux alentours du XVIIIe siècle, avant de « migrer » en masse vers le numérique vers la fin du siècle dernier. Cela nous laisse donc quelque 250 années de paperasses accumulées dans les fonds d’archives; de quoi occuper pendant encore longtemps les rats de bibliothèque comme moi! Sans compter le fait que le numérique – et les imprimantes – aurait plutôt tendance à favoriser la multiplication des « versions papier »; ce qui donne déjà beaucoup de travail aux archivistes de l’avenir.
La Gazette – Votre nouvelle situation à titre de retraité vous permet davantage de liberté. Quelle est la chose que vous voudriez exprimer à propos du futur de la littérature québécoise ou de la recherche qui se fait sur elle?
Marcel Olscamp – Je serais bien en peine de prédire quel sera le futur de la littérature québécoise. Cependant, grâce à mon âge canonique, j’ai pu constater que la recherche qui prend cette littérature pour objet obéit à des cycles très faciles à délimiter dans le temps. En d’autres termes, les études en littérature québécoise traversent elles aussi des modes successives, et il me semble que les générations de chercheurs ont chaque fois tendance, comme on dit, à jeter le bébé avec l’eau du bain. Encore un peu de temps et l’édition critique, qui fut l’une de mes spécialités (et qui n’est plus très en vogue), reviendra au goût du jour!
La Gazette – Parlez-nous de votre livre en préparation.
Marcel Olscamp – Je suis en train de rédiger un essai sur Le ciel de Québec, le roman le plus ambitieux de Jacques Ferron, paru en 1969. En apparence, il s’agit d’une sorte de chronique dont l’intrigue se déroule dans la Capitale nationale en 1937-38. Il y a beaucoup de choses à dire sur ce récit, mais c’est un livre labyrinthique qu’on ne peut approcher que de biais; il faut donc parler autour de lui tout en essayant d’éclairer certains de ses aspects les plus énigmatiques. Pour peu qu’on accepte de s’y laisser prendre, il nous arrête à chaque page, ce qui m’amène à dire que ce livre inépuisable est véritablement l’œuvre d’une vie: celle de son lecteur attentif et captif! On n’en a jamais fini avec ce « grimoire » singulier; il est virtuellement impossible d’en déplier toutes les significations pour en apprécier toutes les implications.
La Gazette – Vous revenez souvent en Mauricie, quels sont vos coups de cœurs culturels de la région?
Marcel Olscamp – J’ai quitté la Mauricie il y a plus de trente ans, mais je suis toujours resté très attaché au panthéon culturel de ma jeunesse. Au risque de paraître passéiste, je dirai, comme Richard Desjardins, que « Les fantômes se dressent à chaque pouce carré » quand je reviens à Trois-Rivières. En ce temps-là, Clément Marchand et Alphonse Piché étaient les deux divinités tutélaires que tout le monde révérait; un peu plus tard, quand je faisais mes études à l’UQTR, j’ai été fortement impressionné par la trinité des poètes Pozier / Boisvert / Jacob qui, aux Écrits des Forges, menaient à terme leur grand projet Tilt! C’était pour moi le comble de la modernité littéraire, je n’y comprenais rien tout en étant absolument fasciné… J’ai toujours la nostalgie du Ciné-Campus d’autrefois, cette institution à nulle autre pareille où j’ai passionnément construit ma culture cinématographique. Enfin, je garde aussi précieusement le souvenir de la galerie Hébert-Gaudreault, ce lieu chaleureux, où Gaston Bellemare jeta les bases de ce qui allait devenir le Festival de poésie.
La Gazette – En terminant : un lac de la région porte déjà votre patronyme, voilà pour la consécration! Mais qu’aimeriez-vous qu’on retienne de vos années d’enseignement et de publication?
Marcel Olscamp – Situé près de Saint-Jean-des-Piles, le lac Olscamp rend surtout hommage à mon arrière-grand-père, qui fut colon sur la rivière Saint-Maurice; ma célébrité personnelle tient donc à bien peu de choses. Dans le domaine de la gloire comme dans beaucoup d’autres, j’ai fait mien le vieux dicton : « C’est agréable d’être important, mais c’est bien plus important d’être agréable ». Je vous décevrai peut-être, mais je voudrais surtout qu’on dise de moi que j’étais un bon garçon, avec tout ce que ce terme implique de naïveté; c’est tout ce que je demande à la postérité. Pour le moment!
Complice dans la vie, Lucie Joubert et Marcel Olscamp ont aussi consacré leurs carrières respectives à la mise en valeur de l’héritage littéraire québécois. Photo : Gracieuseté Lucie Joubert