L’urgence de se réconcilier avec la biodiversité

Pendant des décennies, la crise liée aux enjeux climatiques et celle reliée à l’érosion de la biodiversité ont été abordées de manière distincte : à chacun sa convention, sa communauté de scientifiques ou encore son organisme scientifique. Aujourd’hui, bon nombre de chercheurs  scientifiques démontrent le besoin de créer des ponts entre ces deux crises. Le rapport Climat et biodiversité : redéfinir notre rapport à la nature, rédigé par le Comité consultatif sur les changements climatiques, invitait d’ailleurs récemment le gouvernement du Québec à « considérer la crise de la biodiversité selon les mêmes niveaux d’urgence et d’attention que ceux accordés à la crise climatique ». Jérôme Dupas, professeur en économie écologique, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique et bassiste du groupe Les Cowboys Fringants est également co-auteur de ce rapport.

L’Université du Québec à Trois-Rivières a organisé récemment une journée sur le développement durable avec une série de conférences dont celle de Jérôme Dupas qui a présenté notamment les solutions nature, les co-bénéfices qu’elles génèrent pour la biodiversité et leurs rôles dans l’adaptation aux changements climatiques. 

Les solutions nature

Les solutions fondées sur la nature ou les solutions nature représentent un ensemble d’actions promouvant les écosystèmes dans la lutte aux changements climatiques. « Les solutions nature ça séquestre, ça stocke le carbone, ça génère des éco-bénéfices et c’est également la meilleure arme pour faire de l’adaptation bioclimatique.» explique Jérôme Dupras. Au Québec, on a la chance d’avoir un immense territoire. Mais cette nature même si on a de grands espaces met en danger plus de 500 espèces floristiques qui sont menacées ou vulnérables et 150 espèces fauniques menacées de disparitions. 

Outre la question des espèces menacées, Dupras insiste sur l’importance de prendre en compte le taux de changement des écosytèmes. Le taux de changement part de l’hypothèse que toutes les espèces ont une niche écologique et une aire de répartition. Certaines espèces vivent à telle latitude parce c’est le bon climat, la bonne humidité, bref c’est leur habitat. L’hypothèse est qu’avec le réchauffement climatique, plusieurs espèces vont migrer vers le nord. On le constate d’ailleurs déjà dans nos milieux ruraux et urbains avec des déplacements d’espèces qui sont souhaitées, d’autres moins souhaitables parce que certaines espèces sont porteuses de maladies ou encore envahissantes. Certaines études démontrent que dans une cinquantaine d’années on aura un taux de changement majeur des écosystèmes. Ainsi, la composition de nos écosystèmes ne sera pas la même ni au niveau floristique ni au niveau faunique.

D’ici la fin de notre siècle, il y a un taux de changement de composition des écosystèmes de plus de 80%. Donc cela veut dire que lorsque nos petits-enfants vont aller prendre une marche en forêt, 8 espèces sur 10 ne seront plus les mêmes. 

– Jérôme Dupras 

Cette réalité projetée nous fait poser des questions éthiques, morales et de fonctionnalité écologique. ll y a plusieurs chantiers et plusieurs types de réponses aux crises climatiques et de biodiversité. La feuille de route que propose les solutions nature se détaille en deux points.

Protection de notre territoire

Le Québec et le Canada promettent de protéger 30 % de leur territoire d’ici 2030. Or, le Québec est une des seules provinces à avoir atteint les objectifs préalables d’Aichi en protégeant 17 % de son territoire en 2020. C’est un pas dans la bonne direction mais cette protection a principalement été réalisée dans le nord. Il est fort important de protéger cette partie du territoire mais le nord représente également une opportunité plus facile de faire de la protection de plus grands espaces avec moins de compétitions pour l’utilisation des sols. L’engagement de protéger 30% du territoire doit se réaliser en accentuant d’ici 2030 la protection dans le sud du Québec. Cet engagement en est un du Canada et du Québec mais les régions, les MRC et les villes doivent aussi prendre des engagements solides pour l’atteinte de cet objectif. 

Photo : Gracieuseté de habitat-nature.com.

L’interconnectivité

Lorsqu’on a protégé notre territoire, il faut ensuite l’interconnecter. Comment? En favorisant des pratiques agro-environnementales et de foresterie durable, le verdissement urbain et en donnant accès à la nature. L’accessibilité à cette nature est primordiale selon Dupras car on peut bien avoir de meilleures théories et de meilleurs modèles mais s’il n’y a pas d’acceptabilité sociale, s’il n’y a pas un contrat social humain/nature, la transition écologique n’opérera pas. Lorsqu’on accède à la nature, lorsqu’on se sent bien dans une forêt, on veut la protéger parce qu’on connait ce qu’on aime et on protège ce que l’on aime.

L’agenda des solutions nature

«Ce profil socio-écologique, c’est ça l’agenda des solutions nature. On a besoin du politique pour encadrer cela, des entreprises pour se coller à ces agendas et de citoyens pour sensibiliser et mobiliser. Ce qui est dans les conventions sur la diversité biologique, c’est qu’on doit devenir en 2050 positif pour la nature, ce qui est l’équivalent de carbonégatif. Au Québec notre premier défi est de développer ce réseau d’aires protégées à 30% en 2030 et si 2050 c’est demain matin, 2030 c’est cet après-midi. » de conclure Dupras.