Autrice de quatorze livres et cocréatrice de plus d’une dizaine de livres d’art, Monique Juteau est une figure littéraire incontournable. Elle s’est d’ailleurs vue décerner récemment le prix Adagio du Salon du livre de Trois-Rivières pour souligner sa carrière exceptionnelle. Elle nous donne un aperçu des effets qu’elle trimballe dans sa valise littéraire.
Les racines au vent
Montréalaise de naissance et centricoise d’adoption, Monique Juteau a toujours eu un peu les racines au vent, entre l’Asie et l’Amérique, Sainte-Thérèse-de-Blainville et Sherbrooke. Peut-être sa terre d’assise est-elle davantage le lieu de l’écriture ? Publiée depuis 1975, l’autrice explique que, grâce à un mode de vie basé sur la simplicité volontaire, elle a pu économiser suffisamment pour entretenir sa liberté, qui lui permet, lors de ses voyages, de prendre le temps d’observer l’environnement afin d’écrire sur les lieux et les gens qui l’habitent. Par exemple, « l’Inde m’a appris à ralentir le rythme du voyage pour mieux décortiquer le réel et l’écrire avec plus de justesse ». Ses pérégrinations – voyagères ou autres – prennent diverses formes dans son œuvre : celle de la poésie Des jours de chemins perdus et retrouvés (Écrits des forges, 1997), du récit de voyage dans Le voyage a dit (Varia, 2009) ou encore de nouvelles dans Un pied dans le vide (Éditions d’art Le Sabord, 2010), pour ne nommer que celles-là.
La remise du prix Adagio a été une véritable surprise pour l’autrice centricoise. Il est tombé du ciel, dit-elle, « après avoir consacré une partie de ma vie à l’écriture et au renouvellement de la littérature. » L’œuvre de Monique Juteau éclate en effet constamment formes et frontières : ainsi, elle a présenté au lancement du dernier numéro du Sabord, en accessoire à sa lecture, un Wok créatif dans lequel elle faisait sauter en guise de légumes le passé, le présent et le futur. C’est d’ailleurs l’audace de l’artiste qu’a récompensé le Salon du livre de Trois-Rivières, et cet encouragement est, image-t-elle, « aussi réconfortant qu’un gâteau des anges que l’on aurait envie de partager avec ceux et celles qui ne l’ont pas encore reçu ».
L’ailleurs d’ici, l’ici, d’ailleurs
Si l’autrice ressent fréquemment l’appel du voyage, il a toujours été important pour elle de choisir des maisons d’édition de proximité. Elle publie entre autres aux Écrits des forges et au Sabord depuis de nombreuses années. En plus de ses ouvrages, elle compte une dizaine de nouvelles dans la revue du Sabord. On peut d’ailleurs lire sa plus récente parution, « Le nombre quarante en neuf variations pour accordéon » dans le numéro 123 | rhizomes. Ce texte mélange poésie et prose, comporte une forte tonalité ludique et est truffé de références culturelles et d’ancrages dans le passé récent, à l’image de l’œuvre de Monique Juteau. Elle confie qu’il a été écrit à l’île d’Orléans, alors qu’elle était « en train de manger des frites et de raconter l’équipage du Sabord en un jeu maritime de l’imaginaire ». Comment déplier le texte pour qu’il se présente comme un fil de variations? « Le texte croit à la manière d’un plant de pommes de terre, explique-t-elle. Une variation est reliée à une autre par les minces tiges – rhizomes – du présent, du passé et du futur incertain ».
Que peut-on attendre du côté des projets à venir ? Monique Juteau travaille actuellement sur un livre mettant en scène deux femmes de générations différentes qui s’attachent à dialoguer. « En vieillissant, les liens familiaux prennent de plus en plus d’importance dans mes écrits », remarque-t-elle. En attendant, on peut découvrir ou redécouvrir Les Lalancette (Éditions d’art Le Sabord, 2016) ou se plonger dans Le marin qui n’arrive qu’à la fin (Hamac, 2020).
Extraits de « Le nombre quarante en neuf variations pour accordéon » :
« Je m’empresse d’inviter un accordéoniste à célébrer ce siècle où, malgré tout, les joies sont encore permises, comme virevolter d’une idée à l’autre ou faire l’amour en plein jour pour ensuite se propager dans le texte en de multiples rhizomes, contrairement à certaines prescriptions littéraires qui recommandent de s’enfoncer dans le véridique, telle une carotte à racine unique, sans jamais laisser libre cours aux rêveries et incidents de parcours. »