États-Unis, Argentine, Israël… à maints endroits sur la planète, les forces de droite ont le vent en poupe. Et le Canada n’y échappe pas. Un vent de conservatisme souffle sur la scène politique fédérale, et il souffle fort. Depuis plusieurs mois maintenant, les sondages donnent au Parti conservateur une confortable avance sur ses adversaires. Son chef, Pierre Poilievre, ancien ministre du gouvernement Harper propose, au nom du « gros bon sens », de confier l’essentiel des missions de l’État aux entreprises privées, d’éliminer la taxe sur la pollution carbone ou encore de sabrer dans le financement des médias d’information. Des propositions radicales qui n’ont cependant pas encore provoqué de levées de boucliers au Québec. Pourtant, les conséquences d’un Parti Conservateur au pouvoir pourraient être dévastatrices, entre autres, pour notre filet social, pour l’environnement et la qualité de notre information.
Comment expliquer la popularité du Parti conservateur et de ses idées passéistes ? Les mesures sanitaires de la COVID-19 ont fait mal aux mouvements sociaux en les privant de leurs espaces naturels de rassemblement, tandis que l’isolement prolongé a offert un terreau fertile au mouvement opposé aux mesures sanitaires. Cette frustration légitime s’est mutée, pour une partie de la population, en méfiance généralisée envers les scientifiques et les dirigeants politiques plus largement.
Des théories des plus farfelues ont fait mouche. De George Soros à Bill Gates en passant par le Forum économique mondial, longue est la liste des personnes ou institutions accusées d’avoir conspiré pour tirer avantage de la pandémie. Le Convoi des camionneurs de janvier 2022 a fait passer dans le monde réel un mouvement qui n’était, il y a quelques années, qu’une nébuleuse opérant surtout en ligne. Pierre Poilievre, pigeant dans le livre de Donald Trump, a épousé les théories conspirationnistes comme le « Great Reset » et en a profité pour faire le plein d’appuis.
À peine émergions-nous du trauma collectif de la pandémie que voilà notre pouvoir d’achat frappé de plein fouet par des taux d’inflation atteignant 8%. Du jamais vu depuis 1983 au Canada. Tout à coup, se loger et se nourrir sont devenus des dépenses exorbitantes.
Le mouvement antivax s’est rapidement muté en mouvement anti-système. Et la recherche de boucs émissaires n’a pas tardé : la PCU de Justin Trudeau, la taxe carbone, les personnes immigrantes (évidemment), et plus récemment, les maires soi-disant incompétents qui bloqueraient les mises en chantier.
Bien qu’une discussion ouverte sur ces enjeux soit légitime, un petit tour sur X (Twitter) suffira à convaincre que le débat public respectueux n’est pas à l’agenda du mouvement conservateur. L’heure est plutôt aux insultes, aux faits alternatifs, aux déclarations incendiaires et aux politiques de division.
Comment retrouver l’espoir dans ce contexte ? Dans Une civilisation en feu, l’essayiste Dalie Giroux écrit qu’« à ce stade, la colère politique découlant d’une défiance profonde envers les institutions politiques, qui peut sans doute et quoi qu’il en soit être jugée légitime, justifie tous les raccourcis […]. Le rejet du régime actuel est profond […] mais il se manifeste par un désir répressif de retour en arrière autoritaire et de rétablissement des hiérarchies plutôt que par une demande transformatrice de justice ».
Là se trouve peut-être le talon d’Achille de l’édifice conservateur : dans la faiblesse des remèdes proposés. Car comment penser réalistement que démanteler les protections sociales, en sapant l’égalité des chances, favorisera la liberté du plus grand nombre ? Que nous enfoncer dans les énergies fossiles favorisera la création d’emplois verts, ceux-là qui formeront l’économie de demain ? Et que couper les vivres fédéraux aux villes résoudra la crise du logement ?
Bien que le Québec se montre en général plutôt tiède aux propositions conservatrices, la Mauricie, à l’instar d’autres régions du Québec, n’est pas immunisée. Pour briser la vague conservatrice, celles et ceux qui se soucient du bien commun devront rapidement recanaliser l’insatisfaction légitime vers les vrais responsables, vers les vraies racines de nos difficultés, remettre en question la spéculation, le capitalisme débridé qui ne fait qu’accroitre les inégalités, avancer des faits, faire des propositions emballantes, rassembleuses, crédibles pour répondre aux crises auxquelles nous faisons face.
L’écoute et l’empathie sont de puissants antidotes au désemparement. Et avec toutes les initiatives communautaires innovantes qui fourmillent en Mauricie et ailleurs au Québec, les valeurs de solidarité sont déjà bien vivantes en nous. Nous n’avons qu’à y faire appel.
« Si tu ne t’occupes pas de politique, c’est elle qui s’occupe de toi », disait Michel Chartrand. Rien n’est encore joué.