C’est devenu une tradition. Chaque année, pour son numéro de la rentrée, La Gazette de la Mauricie dresse certains constats sur le système scolaire public du Québec.
Cette tradition découle de la volonté de La Gazette de contribuer à la construction d’une société plus juste, plus solidaire et plus participative. Or, l’éducation gratuite et accessible à toutes et à tous est le fondement d’une telle société.
Cette année, le comité de rédaction du journal a choisi de laisser la parole aux enseignantes et enseignants plutôt que de faire appel à des spécialistes externes ou que de consulter des rapports de recherche. Après tout, ils sont les premiers à vivre les effets des changements dans les écoles de la province.
Les enseignantes et enseignants cités ci-dessous ont gracieusement accepté de se prononcer publiquement sur certains enjeux et débats actuels relatifs au système scolaire québécois telles l’intégration des nouvelles technologies dans les classes, l’instauration d’un ordre professionnel des enseignants, l’égalité des chances, les méthodes alternatives d’enseignement, l’approche par compétences, le décrochage scolaire, les devoirs ou la multiplication des écoles à vocation particulière. Voici les points de vue exprimés au sujet de la réorientation de la formation des maîtres.
QUESTION
« Depuis 1994, les enseignants sont d’abord et avant tout formés en pédagogie. Leurs connaissances disciplinaires en français, maths, histoire, etc., correspondent souvent à un certificat faible en la matière. » (Le Devoir, 19 mars 2015) Croyez-vous qu’il soit nécessaire de rectifier le tir, c’est-à-dire de réorienter la formation des maîtres vers l’acquisition de « connaissances disciplinaires » plutôt que de connaissances pédagogiques ?
RÉPONSES
« Pour donner le goût à ses élèves d’apprendre les mathématiques ou l’histoire, il faut d’abord être un mordu des maths ou de l’histoire, ce qui implique une solide formation en mathématiques ou en histoire. Mais il faut aussi savoir transmettre sa passion, d’où l’importance de la pédagogie. »
– Jean-Yves Proulx
« Les deux sont évidemment nécessaires. Les connaissances pédagogiques aident à mettre en place un climat qui suscite l’intérêt de l’élève pour les connaissances disciplinaires. Mais la connaissance de la matière enseignée constitue un des plus importants atouts pour faciliter l’apprentissage. »
– Mireille Doucet Landry
« Absolument. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la formation disciplinaire pour les futurs enseignants. Depuis quelques années, j’accueille régulièrement des stagiaires en classe et j’observe qu’ils ont des lacunes au niveau des connaissances, sans être complètement outillés en pédagogie et en didactique. L’apprentissage de la gestion de la classe, du mode d’apprentissage d’un élève et de la psychologie de l’enfance sont très importants, mais certaines de ces choses s’apprennent “avec le métier” en étant dans une classe. Comme dans plusieurs domaines, les théories apprises sur les bancs d’école ne s’appliquent généralement pas telles quelles en classe !
Au cours des dernières années, j’ai eu connaissance d’un stagiaire en français qui a fait une faute en écrivant le mot alimentation au tableau, d’un stagiaire en univers social qui n’était pas en mesure de placer Terre-Neuve sur une carte du Canada et d’un stagiaire en mathématiques qui se trompait en additionnant les notes des élèves…
Je ne sais pas si la solution pour améliorer le niveau des connaissances de la relève enseignante passe par une augmentation des cours disciplinaires à l’université ou si on doit être plus contraignant dans la sélection des candidats. Peut-être que la réponse se trouve quelque part entre ces deux pôles. »
– Mathieu Tremblay
« L’enseignement au niveau secondaire est toujours en mouvement, donc la préparation à cette profession devrait l’être tout autant. Cependant, je ne crois pas qu’il faille mettre de côté les connaissances pédagogiques au profit des connaissances disciplinaires. En fait, il faudrait que la formation des maîtres soit revue et mise à jour pour faire face aux nouvelles réalités que vivent les élèves dans nos classes, par exemple davantage de cas diagnostiqués et de particularités socio-familiales.
Tenez, ce matin, une élève vient d’intégrer une famille d’accueil parce qu’il y a (encore) eu des problèmes à la maison. Même si je suis une spécialiste en français, ça ne me sert à rien pour intervenir auprès d’elle dans la classe lorsqu’elle se met à pleurer. Oui, je sais, je peux faire appel à une intervenante, mais dans la vraie vie, le temps que la technicienne en éducation spécialisée arrive, mon élève en crise pleure encore, je dois l’accompagner… et la règle du participe passé avec le verbe avoir ne sert absolument à rien à ce moment-là, pas plus que les autres élèves présents dans mon cours ! C’est ça, la “complexité” du travail d’enseignant. »
– Marylène Gélinas
« Oui, on doit vraiment tenter de renforcer les compétences disciplinaires mais en gardant toujours un aspect pédagogique. Il faut avoir une vision globale de l’enseignement. De plus, il faut augmenter les exigences au niveau de la formation, ce qui pourrait nous (les enseignantes et enseignants) faire passer par une meilleure valorisation de notre profession. Parce qu’une valorisation, ça peut passer par la Formation des maîtres (comme ça peut autant passer par nos conditions de travail qui restent à améliorer).
Si je prends ma discipline, même en éducation physique, il pourrait y avoir plus de cours « disciplinaires »… surtout que le baccalauréat se donne maintenant sur 4 ans. Il faut quand même faire attention de ne pas trop « axer » l’éducation physique sur la spécialisation à outrance. Il faut également être formé dans plusieurs domaines sportifs pour mieux l’enseigner aux élèves.
Et quand on parle de formation des maîtres, même pour l’éducation physique, il faut toujours penser à l’acquisition de bonnes connaissances en français. Car il n’est pas rare de voir l’annulation de stages à cause de l’échec du test de français par les futurs enseignants. Il serait dommage de se priver d’excellents enseignants à cause de cet élément… Et la réponse n’est pas une baisse des exigences mais une meilleure formation, un meilleur cursus scolaire. »
– Éric Poulin
« Je pense en effet que les connaissances disciplinaires sont essentielles. Elles doivent être solides et profondément ancrées dans les connaissances de l’enseignant dès le départ de sa carrière et se poursuivre tout au long de sa carrière. Pour la pédagogie, je crois qu’elle devrait s’échelonner sur toute la carrière de l’enseignant (genre de « formation continue ») par des lectures, des séminaires, des congrès, des cours, des stages… et tout cela doit être reconnu dans son temps de travail. Car contrairement à bien des connaissances disciplinaires, l’étude du cerveau, principal outil de travail de l’enseignant, est bien peu connu et encore en évolution ainsi que la psychologie liée à l’apprentissage. C’est pourquoi, je pense que la pédagogie doit être davantage axée sur l’étude du cerveau et son fonctionnement lié à l’apprentissage. »
– Martin Lahaie