Réal Boisvert, septembre-octobre 2019
La récente Commission parlementaire de la culture et de l’éducation sur l’avenir des médias, grâce à la qualité des présentations et à la bonne tenue des échanges qui s’y sont déroulés, aura permis de faire le tour de la question sur la crise qui secoue le monde journalistique. Au premier rang des facteurs qui expliquent la situation, on a évoqué à juste titre la chute radicale des revenus publicitaires, lesquels se déplacent inexorablement vers les géants du Web que sont Google, Amazone, Facebook et Apple (GAFA). De fait, voilà quatre multinationales qui pillent sans vergogne les contenus des médias traditionnels et qui, de surcroît, ne paient aucune redevance en taxes et en impôts sur les bénéfices qu’ils encaissent.
À court terme, l’un des résultats les plus brutaux de la chute tendancielle des revenus publicitaires aura été la faillite de Groupe Capitales Médias qui a placé ses six hebdomadaires régionaux – dont Le Nouvelliste – sous la protection des tribunaux contre ses créanciers. À moyen terme, la conséquence de tout cela est bien sûr la menace qui pèse sur la démocratie, privée de l’information nécessaire à la bonne marche des affaires publiques et dépossédée, par manque de ressources professionnelles, des données essentielles à l’exercice d’une veille soutenue du monde de l’économie et celui de la politique.
Pour venir au secours des médias, il a été suggéré de soutenir équitablement l’ensemble des producteurs par le biais des subsides publics tout en taxant directement les GAFA afin de rétablir une juste concurrence entre les acteurs concernés. Voilà deux mesures nécessaires, encore que la deuxième ne soit pas gagnée d’avance, tant les pouvoirs publics sont pusillanimes face aux ogres du numérique. En tout état de cause, ces deux mesures ne sont pas suffisantes.
Lire la chronique d’Alain Dumas Pourquoi taxer les géants de l’économie numérique?
Il n’est pas certain en effet qu’un meilleur partage de l’assiette publicitaire incite à s’abonner à différents journaux tous ces gens qui ne transitent plus que par les réseaux sociaux. Et c’est là que la démocratie y perd le plus. D’abord parce que les contenus qu’on retrouve sur plusieurs plateformes de partage électronique ne volent souvent pas très haut. Ensuite parce beaucoup d’usagers se laissent entraîner dans des algorithmes d’enfermement qui leur permettent difficilement de distinguer le vrai du faux. Bienvenue le populisme ! « À ce dont un esprit se contente, on mesure l’étendue de sa perte », affirmait Hegel.
On n’en sort pas : pour qu’une société manifeste un intérêt soutenu et universel pour une information de qualité, il faut avant tout placer au cœur de la vie collective l’acquisition de connaissances générales et la quête des savoirs particuliers. La santé des systèmes d’information est consubstantielle à celle des systèmes éducatifs. Suivant ce postulat, le niveau général de littéracie d’une nation en matière de langue, de politique, d’économie et de science constitue le meilleur indicateur d’une presse libre et florissante.
Pour le dire plus simplement, c’est le public lecteur qui est responsable de la survie des journaux et non pas seulement la publicité. Et il n’y a sans doute pas de plus beau projet de société que celui qui consiste à faire en sorte collectivement que le besoin d’être bien informé soit aussi indispensable pour chaque individu que l’air qu’il respire est nécessaire à sa survie. Rien de moins !