albatros deuil mort
Photo : Dominic Bérubé

Rappelons-nous ces sages paroles épicuriennes : « Familiarise-toi avec l’idée que la mort n’est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication de nos sensations. » Cet extrait de la Lettre à Ménécée, écrite il y a plus de 2300 ans, semble pourtant ne pas faire l’unanimité aujourd’hui. La peur de la mort est un sujet universel qui suscite de nombreuses questions et réflexions chez tout un chacun. Qu’est-ce qui nous pousse à redouter l’inévitable ? Pourquoi cette peur est-elle si profondément ancrée en nous ?

La peur de l’inconnu

La peur de la mort est alimentée par la perte de la vie elle-même : cette vie précieuse qui nous offre expériences et émotions. La perspective de tout perdre engendre une peur intense. Notre crainte est de plus nourrie par l’incertitude de l’inconnu : la mort représente un territoire inexploré, un mystère au-delà duquel nous ne pouvons pas voir ni savoir avec certitude ce qui nous attend. Cette absence de contrôle est anxiogène puisque nous sommes habitués à la planification, à la prise de décisions et à un certain niveau de contrôle sur notre vie. La pensée de perdre ce contrôle est ce qui nous pousse à des décisions de fin de vie et à des souhaits post mortem.

Les rites dans l’histoire

Les preuves archéologiques et anthropologiques suggèrent que les premières formes de rituels funéraires, comme l’inhumation des morts avec des objets personnels ou des offrandes, remontent à plus de  cent mille ans. Cela indique que les premiers humains avaient déjà une certaine conception de la mort et de l’au-delà. Aujourd’hui, nous ajoutons la conception d’une fin de vie anticipée, ce qui nous incite à préméditer nous-mêmes nos derniers jours. De fait, la fin de vie a évolué avec le temps : avec l’avènement de la médecine moderne et des hôpitaux au XIXe siècle, la mort à la maison est devenue un phénomène moins fréquent. Comme les personnes malades étaient souvent hospitalisées,  elles mouraient à l’hôpital plutôt que chez elles. Les pompes funèbres ont également commencé à prendre en charge les arrangements funéraires, y compris le transport du corps et l’organisation des funérailles. Cependant, au cours des dernières décennies, il y a eu un regain d’intérêt pour la mort à la maison familiale ou dans un établissement de soins palliatifs. En effet, les gens choisissent de mourir entourés de leurs proches dans un environnement familier et confortable. Nous pourrions donc affirmer que notre inéluctable crainte de la mort nous a amenés à prendre le contrôle de celle-ci. L’anxiété de notre finalité, toujours présente, se construit différemment et nous porte à faire des choix plus confortables et empreints de douceur.

L’accompagnement comme apaisement

Il est juste d’affirmer qu’une des grandes craintes reliées à la mort est la perte d’autonomie et de dignité ainsi que la souffrance possiblement causée par une maladie. Nous n’avons pas nécessairement peur de la mort, mais plutôt de la vivre. Si, selon Épicure, la mort est l’absence de toute sensation, elle ne l’est pas lorsque l’on subit la maladie au quotidien jusqu’au dernier souffle. Pour le malade et ses proches, une fin de vie est anxiogène et déstabilisante. C’est pourquoi une planification des derniers jours et une aide appropriée nous permettent de vivre pleinement nos dernières expériences humaines, et non seulement de vivre notre mort.

Parler de ce sujet demeure difficile. Affirmer à un proche que l’on craint notre finalité ou, au contraire, que l’on souhaite mourir n’est pas habituel. Et pourtant, partager cette angoisse ou ce souhait, c’est prendre le contrôle de notre histoire. On ne choisit pas la maladie ni la souffrance, mais l’on peut choisir ce que cette expérience nous apporte. Le dialogue constitue, à mon sens, la première étape vers l’acceptation, sociétale et individuelle, de la mort. Accompagner une personne vers cette étape s’avère aussi une façon d’apprivoiser notre peur et d’apporter du positivisme à notre perception. Finalement, célébrer nos proches et les accompagner dans leur fin de vie est la plus belle façon de déjouer l’angoisse.

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