Le Canada, le Québec, et une bonne partie des états européens et américains, traversent une crise du logement d’une ampleur jamais vue depuis la dépression des années trente. Cette crise est d’abord marquée par un manque de logements habitables et abordables, mais aussi par une baisse du taux d’accès à la propriété d’une maison. Qu’en est-il au juste de cette crise ? Quelles sont causes profondes de cette crise ?
Les faits
Le très faible taux de logements inoccupés illustre la crise actuelle. Alors que le marché du logement locatif est considéré en équilibre lorsque le taux d’inoccupation est de 3 %, ce taux est aussi bas que 1 % ou moins dans les trois quarts des municipalités du Québec. La ville de Trois-Rivières affiche un creux historique de 0,4 %.
Ce faible taux d’inoccupation a comme conséquence de faire exploser le prix des loyers et de causer une pénurie de logements abordables. Par exemple à Trois-Rivières, le prix moyen d’un loyer a augmenté de 50 % entre 2020 et juin 2024, portant le prix moyen d’un loyer à 1225 $ par mois, de sorte que le locataire Trifluvien doit consacrer 41 % de son revenu à son loyer; un taux excessif puisque que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada recommande un taux de 30 %.
Les évictions de locataires
On comprend alors pourquoi le taux d’insécurité alimentaire a explosé au cours des dernières années, étant donné que les familles sont plus nombreuses à se priver de nourriture pour payer leur loyer, afin d’éviter d’être évincé de leur logement. Or, en dépit de cette privation alimentaire, les expulsions de loyer prolifèrent. Selon le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), les évictions forcées de locataires ont augmenté de 132 % entre 2022 et 2023 au Québec. D’où l’explosion de l’itinérance partout au Québec, comme en témoigne les 10 000 itinérants visibles, soit le double de l’année 2019, sans compter les itinérants invisibles qui crèchent chez des ami-e-s ou parents.
Or, les évictions de locataires permettent à des propriétaires d’immeubles à logement d’augmenter plus facilement le prix des loyers des nouveaux locataires, passant outre les recommandations d’ajustement des prix du Tribunal administratif du logement. C’est pourquoi le prix des loyers a augmenté 4 fois plus pour les logements ayant connu un changement de locataire que les logements occupés par les mêmes locataires.
La financiarisation du logement
Le désengagement de l’État dans les logements sociaux, la déréglementation du contrôle des loyers et l’affaiblissement de la protection des locataires, ont eu pour effet d’attirer les financiers et les spéculateurs dans le marché du logement. En permettant la création de fonds spécialisés dans l’exploitation d’immeubles de logement, les gouvernements ont pavé la voie à ce qu’il convenu d’appeler la financiarisation du logement locatif. Ces fonds, dont le seul but est de maximiser rapidement les profits, détiennent presque le tiers des logements locatifs au Canada.
Selon une étude, cette forte concentration de la propriété des logements locatifs est en partie responsable de la forte hausse du prix des loyers. Ces fonds usent de plusieurs astuces pour augmenter les profits : réduire les dépenses en congédiant par exemple les concierges, couper dans l’entretien de l’immeuble, facturer des services (stationnement, rangement, salles communes, etc.), augmenter le loyer exagérément, et enfin, favoriser le roulement des locataires pour augmenter le prix des loyers.
Solutions
Les divers intervenants dans le secteur du logement, dont le RCLAQ, proposent un registre des loyers afin de freiner les hausses abusives de loyer. Un tel outil permettrait de renseigner les nouveaux locataires sur le prix payé par le locataire précédent. Même si les propriétaires sont tenus de fournir cette information dans le bail, elle est souvent absente ou difficile à contrevérifier.
Les mêmes intervenants sont aussi unanimes pour l’accélération de programmes de logements sociaux et abordables, de même que les coopératives d’habitation où le loyer ne représente que 25 % du revenu des locataires. Notons que l’interdiction complète des locations de type Airbnb doit aussi être appliquée, à l’instar de la ville de Barcelone qui a décidé récemment d’aller dans ce sens, libérant ainsi plus de 10 000 logements.
Des actions plus structurelles s’imposent, dont la dé-financiarisation du logement via l’expropriation de logements possédés par des fonds qui ne respectent pas les droits des locataires, et mettre fin au financement de ces fonds via les prêts privilégiés de la SCHL auxquels ils ont droit.
Enfin, après trente ans de libéralisation et de déréglementation, un coup de barre s’impose dans l’encadrement des loyers. Les gouvernements doivent limiter la hausse des loyers à celle de l’indice des prix à la consommation et accroître les mesures de protection des locataires, contre les expulsions et les ’’rénovictions’’.