Par Alain Dumas
Le débat sur le salaire minimum est enfin relancé. Après que l’entrepreneur Alexandre Taillefer eut proposé de le majorer à 15$ l’heure, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a rejeté sur-le-champ cette proposition, la qualifiant de désastreuse pour l’emploi.
Le débat tombe à point nommé, car une étude récente de Statistique Canada révélait que le salaire minimum réel n’a pas du tout augmenté depuis 1975, ce qui signifie que le pouvoir d’achat de cette catégorie de salariés stagne depuis 40 ans! Selon l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), le salaire minimum devrait être à 15.10$ l’heure pour permettre de répondre aux besoins de base d’aujourd’hui.
Des pays riches comme l’Allemagne et les États-Unis, aux prises avec le constat accablant de taux de pauvreté qui arrivent en tête de divers classements, sont également animés par ce débat. Depuis 2013, 29 États et des villes des États-Unis ont augmenté substantiellement le salaire minimum et certains, dont New York, Seattle et la Californie, ont décidé de le porter progressivement à 15$ l’heure. Du côté européen, le Royaume-Uni haussait cette année son salaire minimum à 13.15$ l’heure, tandis que l’Allemagne en instaurait un à 12.50$ l’heure en janvier 2015. Plus près de chez nous, l’Alberta décidait récemment de porter le salaire minimum à 15$ d’ici 2018.
Si d’un côté, les tenants de la hausse rappellent que l’objectif du salaire minimum consiste à diminuer la pauvreté et les inégalités, de l’autre côté, les opposants à la hausse soutiennent que son effet sur l’emploi est négatif. Qu’en est-il au juste?
Salaire minimum et emploi
Des économistes affirment que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont atteint le plein emploi avec des taux de chômage respectifs de 4,9%, 4,9% et 4,2%, grâce à un salaire minimum faible, voire même inexistant dans le cas de l’Allemagne jusqu’en 2015.
Or, le plein emploi n’existe plus dans la réalité. Car les taux de chômage officiels très bas ne tiennent pas compte des millions de chômeurs cachés (temps partiel involontaire, chômeurs de longue durée et découragés en retrait du marché du travail, etc.), de sorte que le véritable chômage serait deux fois plus élevé que le chômage officiel. L’insignifiance des bas taux de chômage officiels est telle que l’Allemagne a même vu son taux de chômage diminué depuis l’instauration d’un salaire minimum de 12$ l’heure en 2015 ! Comme quoi la relation négative entre le salaire minimum et l’emploi demeure plutôt hypothétique.
Sur le terrain, des études empiriques ont montré qu’il n’existait pas de preuve que la hausse du salaire minimum entraîne des pertes d’emploi. Des économistes américains (David Card et Alan Krueger) ont mesuré l’impact de la hausse de 19 % du salaire minimum dans l’État du New Jersey et de 27% en Californie pour en arriver à la conclusion que l’impact sur l’emploi avait été positif. L’explication provient du fait que la hausse du salaire minimum (donc du pouvoir d’achat) est totalement réinjectée dans l’économie locale, ce qui stimule par effet d’entraînement la création d’emploi local. Une autre étude américaine (Fiscal Policy Institute: 2004)* a montré que le nombre de petites entreprises a augmenté deux fois plus vite dans les États où le salaire minimum est plus élevé et que le nombre d’emplois y a aussi augmenté plus vite.
Je pense que la proposition d’adopter un salaire minimum viable, qui permet de répondre aux besoins de base d’aujourd’hui, est d’autant plus réaliste qu’elle permettrait de faire d’une pierre deux coups : diminuer la pauvreté tout en sortant notre société de la grisaille économique qui est entretenue par la hausse des inégalités.
*Tiré de : Au bas de l’échelle, Le salaire minimum, la pauvreté et l’emploi: des arguments en faveur d’une hausse substantielle du salaire minimum, 2006.