Un conservatisme drapé de valeurs passéistes et d’un nationalisme très peu inclusif assaille actuellement de nombreuses démocraties. Illusoire, donc, de croire que nous serions à l’abri.
Le conservatisme
Le conservatisme accepte le changement, mais il le veut restreint et résultant d’une évolution « naturelle » des choses. Il s’arrime aux valeurs traditionnelles et à la religion comme guides pour construire ses idéologies politiques, morales, environnementales et scientifiques, et en matière de libertés individuelles.
Le conservatisme du Parti conservateur du Canada (PCC) n’est plus progressiste. Il est populiste et racoleur : le gros bon sens. Taille minimale de l’État, minimum d’impôts et de taxes : sa vision du développement économique laisse les profits aux entreprises qui feraient censément ruisseler les investissements pour qu’ils se cristallisent en création d’emplois. Mais cette approche nuirait à la classe moyenne et à la préservation des filets sociaux, ne profitant qu’aux personnes les mieux nanties.
Les travailleuses et les travailleurs salarié-es
Cœur de la classe moyenne, nombre de salarié-es sont syndiqué-es. Leurs cotisations syndicales financent l’application des conventions collectives, incluant les frais légaux de règlement des griefs. Elles financent aussi le fonctionnement administratif et opérationnel des syndicats, et les activités de représentation et de mobilisation.
Le PCC de Pierre Poilievre formera probablement le prochain gouvernement canadien. Les syndicats craignent ses prises de position qui sont inquiétantes pour les travailleuses et les travailleurs parce qu’elles auraient un impact majeur sur les politiques et la législation du travail.
Une des craintes concerne la protection des travailleuses et des travailleurs par les syndicats. Magali Picard, présidente de la FTQ, y voit une cible dans le dos de la Formule Rand et ce, depuis longtemps.
La Formule Rand oblige le prélèvement de la cotisation syndicale sur la paye de tous les employé-es profitant d’une convention collective, et non sur la paye de seulement celles et ceux qui souhaitent adhérer au syndicat. C’est en tant qu’arbitre, lors d’un conflit de travail à l’usine Ford de Windsor en Ontario en 1946, que le juge Ivan Cleveland Rand (1884 – 1969) a proposé ce qui s’appelle désormais la Formule Rand.
Les travailleuses et travailleurs sont à risque
Le PCC pourrait accéder au pouvoir dans la première moitié de 2025. Les syndicats sont aux aguets. En 2013, Pierre Poilievre, alors député du PCC, minimisait déjà les mérites de la Formule Rand, prétendant que les dirigeants syndicaux ne l’aimaient pas ! [1]
Plus tard il en a rajouté, en souhaitant une législation « right to work », présente dans plus d’une vingtaine d’États américains. De telles lois affaiblissent considérablement le pouvoir syndical en diminuant les revenus provenant des cotisations. Les salaires et les avantages sociaux sont, en moyenne, inférieurs dans les États où des lois de ce type sont en vigueur. [2]
Selon l’Énoncé politique du PCC adopté en septembre 2023, l’adhésion syndicale serait facultative, ce qui constitue une attaque frontale contre la Formule Rand. Cette position est clairement confirmée puisqu’on y lit que « l’affiliation syndicale obligatoire et les contributions financières comme condition d’emploi limitent la liberté économique des Canadiens et freinent la croissance économique ». [3]
Le gouvernement canadien vient d’adopter le projet de loi C-58 anti-briseur-euses de grève. Si l’adhésion et les cotisations syndicales deviennent facultatives, des entreprises pourraient se retrouver avec des briseurs et briseuses de grève qui agiraient en toute légalité puisqu’ils-elles feraient partie d’un groupe d’employé-es salarié-es non syndiqué-es qui ne seraient pas obligé-es de respecter les moyens de pression adoptés par l’autre groupe, celui des employé-es syndiqué-es. Car le PCC veut aussi que les syndicats ne puissent plus sanctionner les travailleuses et travailleurs qui ne participent pas aux moyens de pression.
Syndicalisme et gains sociaux
Il est prouvé que les salaires des syndiqué-es sont souvent supérieur-es à ceux des non-syndiqué-es pour des emplois comparables. Mais il est vrai aussi que les avancées salariales en milieux syndiqués poussent à la hausse le salaire minimum et les salaires en milieux non-syndiqués.
Prenons l’équité hommes-femmes. Le syndicalisme a mené à des réductions substantielles des écarts de rémunération grâce à des lois sur l’évaluation et le maintien de l’équité salariale. Si, dans les milieux syndiqués, cet écart est plus faible que dans les milieux non syndiqués, il reste que les syndicats ont « […] joué un rôle actif dans […] l’adoption de la Loi sur l’équité salariale dans la deuxième moitié des années 1990. De plus, le Front commun de 1975-1976 a été le précurseur d’un changement social important : il a obtenu un congé de maternité de 15 semaines pour les employées du secteur public, ce qui a ouvert la voie au congé de maternité de 18 semaines, pour toutes les femmes […]. » [4]
Affaiblir les syndicats, c’est affaiblir la société
Les syndicats sont des acteurs sociétaux importants. Ils ont appuyé la création du programme d’assurance maladie, milité pour une meilleure justice sociale ou encore pour la protection des ressources et des biens collectifs comme c’est le cas avec les revendications anti-privatisation envers Hydro-Québec. Ils ont aussi fait valoir des prises de position importantes pour la mise en place de mesures de prévention du harcèlement sexuel et des risques psychosociaux en milieu de travail.
Le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador sont les provinces canadiennes avec les plus hauts taux de syndicalisation (près de 40 %). Pour l’ensemble du Canada, c’est 30,4 % (en 2023)[5]. Toute législation affaiblissant les syndicats impactera directement un grand nombre de travailleuses et de travailleurs qui constituent une bonne part de la classe moyenne.
Certaines modifications législatives envisagées par le PCC sèmeraient le chaos chez les les syndicats. Le cas de l’abolition de la Formule Rand est criant. Si un jour les employé-es ont le choix entre être syndiqué-es ou non, les cotisations syndicales s’effriteront et le relatif équilibre entre la force collective syndicale et les volontés des employeurs sera rompu. Il y aura alors deux classes de salarié-es, avec des objectifs conflictuels et polarisants.
Abolir la Formule Rand, c’est diviser pour régner. Mais le règne de qui, et pourquoi ?