Jean-François Veilleux – Histoire – mai 2021 En septembre 2019, l’historien Yannick Gendron a fait paraître son livre sur les conditions entourant la mise en place et la défense du fort de Trois-Rivières, le 4 juillet 1634. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec lui.

Couverture du livre L’énigme de Trois-Rivières – Théodore Bochart (1607-1653), personnage clé de notre histoire (2019, par Yannick Gendron, Perro Éditeur, 408 p.)
Pouvez-vous nous rappeler vos principales expériences dans le domaine de la science historique? Je me qualifie d’historien public. J’ai un baccalauréat en histoire, une maîtrise en études québécoises et une scolarité de doctorat complétée dans le même domaine. Par contre, mes principales expériences sont à titre de consultant et au sein des sociétés d’histoire. Lors de mes études, j’ai toujours aimé avoir une implication dans mon milieu. J’ai agi comme administrateur au conseil d’administration de l’ancienne Société de conservation et d’animation du patrimoine (aujourd’hui Patrimoine Trois-Rivières), administrateur à la Corporation de développement culturel de Trois-Rivières (Culture Trois-Rivières), président de la Société d’histoire du Cap-de-la-Madeleine et directeur général d’Appartenance Mauricie Société d’histoire régionale. Je suis aussi à l’origine de plusieurs panneaux d’interprétation du côté de Cap-de-la-Madeleine et dans chacun des secteurs de la ville. Même si c’est exigeant, l’exercice le plus valorisant demeure le contact direct avec les amateurs d’histoire, que ce soit comme conférencier, ou lorsque j’ai enseigné momentanément au Collège Laflèche. En termes sportifs, on peut dire que j’ai joué à pas mal toutes les positions en histoire et en patrimoine, même une incursion en archéologie! Je suis aujourd’hui conseiller en patrimoine au ministère de la Culture et des Communications. En 2009, pour le 375e anniversaire de Trois-Rivières, vous avez fait plusieurs recherches sur ce fameux « sieur de La Violette », largement diffusé par l’abbé J.-B.-Antoine Ferland dans son Cours d’histoire du Canada (1861). Que peut-on retenir de vrai derrière tout le mystère entourant ce personnage? Nos connaissances sur La Violette sont très limitées. Outre le registre de baptêmes et de sépultures de la paroisse Immaculée-Conception de Trois-Rivières (1635-1679), qu’on appelle communément le Catalogue des Trépassés, aucun autre document n’y fait référence. Pas même les Relations des Jésuites alors que leur principal rédacteur est le père Paul Le Jeune qui est stationné à Trois-Rivières! Le Catalogue ne mentionne La Violette qu’à trois reprises : dans l’introduction, à la barre de sa barque qui arrive à Trois-Rivières le 4 juillet 1634, puis comme parrain dans deux actes de baptême, identifié comme commandant à Trois-Rivières. Ma plus grande fierté en ce qui concerne ce personnage a été de démystifier l’introduction au registre qui cache, entre autres, le rôle qu’occupe La Violette et son type d’embarcation : il est sans l’ombre d’un doute capitaine de barque, que certains prenaient pour une chaloupe, alors que c’est un navire de bonne dimension difficile à piloter dans les eaux tumultueuses du Saint-Laurent. Néanmoins, je reste persuadé qu’on trouvera de qui il s’agit vraiment, un jour. Mais il n’a pas l’étoffe d’un fondateur : pour moi, cela demeure un mythe qu’on nourrit depuis le XIXe siècle. Votre ouvrage s’intéresse au général de la flotte de la Compagnie de la Nouvelle-France, l’un des bras droits de Samuel de Champlain (1574-1635), fondateur de Québec en 1608. On sait que, dès 1603, Champlain avait témoigné de la beauté du territoire trifluvien et voulait s’y bâtir pour commercer. Quelles relations entretenaient Bochart du Plessis et le père de la Nouvelle-France? Théodore Bochart du Plessis est protestant. C’est l’homme de confiance du Cardinal de Richelieu qui a probablement été imposé en 1632 à la Compagnie de Caën exerçant le monopole du commerce des fourrures à la reprise de Québec – après l’intermède des frères Kirke (1629-1632). Les Relations ne décrivent pas leurs interactions. Par contre, Bochart seconde Champlain, se substitue à lui lorsqu’il se porte de plus en plus mal. Rappelons la principale raison d’exister de la colonie : le commerce des fourrures. Alors, qui gère les échanges avec les Premières nations, particulièrement entre 1634 et 1636? Bochart lui-même. Il s’agit d’un directeur des opérations particulièrement talentueux. S’il est difficile de décrire les sentiments de Champlain à son égard, rien n’indique qu’il n’était pas satisfait de son travail, que les Jésuites ne cessent d’ailleurs de louanger. Avec votre collègue Pierre Saint-Yves, réalisateur et scénariste, vous avez traversé l’Atlantique afin d’avoir accès à de nouvelles sources. Un documentaire va raconter cette aventure. Qu’est-ce que les archives de la France, et lesquelles en particulier, ont pu vous apprendre sur l’histoire trifluvienne? Les visites aux Archives municipales de Honfleur, aux Archives départementales du Calvados, au Musée de l’immigration française au Canada à Tourouvre, en 2008, nous ont livré très peu de secrets. Par contre, elles nous ont dévoilé un terrible constat : les guerres européennes successives et les révolutions ont causé des trous béants dans les archives. C’est pourquoi nous avons misé sur les recherches terrain et les rencontres avec les spécialistes de l’histoire religieuse et maritime lors de notre second voyage en 2017. Cela nous a permis, entre autres, d’accéder au Château de Cornou, dans le Loiret, là où Théodore Bochart s’est marié à Louise de Thiballier, ou encore de rencontrer Franck Lestringuant à la Société d’histoire du protestantisme français à Paris. Chaque rencontre m’a permis de valider certaines de mes hypothèses et de mieux comprendre l’époque et les lieux dans lesquels trempe Bochart. Nous étions littéralement sur ses traces : à Paris, lieu de sa naissance en 1607, à Nargis durant sa vie adulte, puis à Blaye, là où il a trouvé la mort et a été enseveli en 1653. Vos travaux ont notamment dévoilé un lien de parenté entre Théodore Bochart du Plessis et le célèbre Cardinal de Richelieu, Armand-Jean du Plessis (1585-1642). Pouvez-vous préciser cette relation et l’importance de ce personnage pour le développement fondamental du Québec? Bochart, orphelin à 9 ans, a grandi auprès de sa tante Marie Bochart et de son époux Pierre Berger, conseiller au Parlement de Paris. C’est ce dernier qui suggère au Cardinal de Richelieu de l’envoyer en Nouvelle-France à la reprise du commerce dans sa colonie. Le patronyme de Bochart n’est pas étranger au Cardinal, né Armand-Jean du Plessis, dont la grand-mère maternelle est Claude Bochart. Le Cardinal de Richelieu et Théodore Bochart partagent donc un aïeul : Jean Bochart est l’arrière-grand-père du premier et l’arrière-arrière-grand-père du second. Ils étaient cousins éloignés et dans une société où les liens familiaux conditionnent les relations, ils ne pouvaient l’ignorer. Le Cardinal de Richelieu a rapproché le monopole des fourrures de la Couronne, alors qu’il était octroyé à des armateurs et des marchands privés. Richelieu fondera la Compagnie de la Nouvelle-France ou des Cent Associés en espérant pouvoir motiver, vainement, les administrateurs à remplir leurs obligations en matière de peuplement. Il faut dire que le célèbre premier ministre de Louis XIII croyait davantage au potentiel économique des Antilles qu’à celui de la Nouvelle-France. À sa décharge, l’Europe, la France au premier chef, est alors aux prises avec des guerres, des conflits commerciaux et des intrigues de palais qui nécessitent toute son attention. Certaines personnes, comme l’auteur Bruno-Guy Héroux, vous reprochent vos conclusions et peut-être même certains pans de votre approche. À ses yeux, vous seriez quasiment un hérétique… En quoi sa critique virulente mais controversée est-elle pertinente? La critique doit exister dans une forme respectueuse, constructive et raisonnable. Or, monsieur Héroux a tenté d’empêcher la rédaction de mon livre (attaques répétées dans Le Nouvelliste, interventions auprès de Culture Trois-Rivières et au cabinet du maire), sa publication (correspondance répétée auprès de mon éditrice) et son lancement à la librairie Poirier de Trois-Rivières. Ce que le public a pu apprécier de ses propos ne constitue que la pointe de l’iceberg. Il a vainement tenté de nuire à ma réputation sur plus d’une tribune, auprès d’amis et de collègues historiens, je ne sais pourquoi. L’histoire n’est pas figée : il faut garder l’esprit ouvert à de nouvelles découvertes, à d’autres interprétations. Un sain débat historique permet d’en faire évoluer les connaissances. Ici, il n’y a pas eu de place à la discussion : monsieur Héroux m’a clairement fait comprendre qu’il ne voulait pas échanger sur le sujet avec moi. Nous soulignerons le 400e anniversaire de Trois-Rivières dans moins de quinze ans, le 4 juillet 2034, la même année que le 500e anniversaire de l’arrivée de Jacques Cartier en Amérique du Nord. Sur quels enjeux ou quels aspects devrait-on miser pour orienter les préparations de ces commémorations? Bonne question! Ça me permet d’aborder la création de l’organisme sans but lucratif Les donneurs de leçons, créé par un petit groupe d’historiens (dont je suis) et d’amateurs d’histoire, qui pavera la voie à la première publication d’une Histoire des Trifluviens en 2034. Mais qu’est-ce que la « fondation »? En 2009, lors du 375e anniversaire de Trois-Rivières, des membres des communautés autochtones nous reprochaient, à raison, d’ignorer leur présence avant et après 1634. Pourtant, il s’agit de retourner aux témoignages de l’époque, recensés dans les Relations, qui présentent plutôt l’implantation d’une habitation permanente à Trois-Rivières comme une résultante des bonnes relations entre Français et Autochtones. Le chef innu Capitanal verbalise cette demande à Champlain en mai 1633. L’endroit était fréquenté depuis des siècles par différentes Nations, bien avant l’arrivée des Européens. Il faut en tenir compte. Cette relecture de l’histoire, puis sa réécriture doit aussi se faire avec un biais favorable envers les femmes, les minorités culturelles et sexuelles et les Premiers peuples. Les influences conservatrices, davantage intéressées aux héros français et autres grands personnages, les ont trop longtemps gardés dans l’ombre. Il faut préconiser une approche progressiste et inclusive de l’histoire, retourner aux sources premières et ne pas hésiter à se frotter aux nombreux et arides rapports archéologiques qui nous livrent les chapitres perdus des mémoires des premiers Trifluviens. En ce sens, vaudrait-il mieux souligner le 400e anniversaire de Trois-Rivières sur une année, entre mai 2033 et juillet 2034? La construction de l’habitation à partir de juillet 1634 vient en quelque sorte sceller l’alliance entre les Premières nations alliées et les Français conclue en mai 1633. Déjà, c’est une toute nouvelle façon de présenter l’histoire de Trois-Rivières : 1634 n’est qu’un jalon dans une histoire millénaire qui a été avant et se poursuit après cette date. Apprenez-en davantage sur la page Facebook https://www.facebook.com/theodorebochart