Kathy Guilhempey – Dossier spécial: Se refaire une santé – mai 2020
Si peu de gens contracteront la COVID-19, tous sont concernés par les répercussions psychologiques de la pandémie. C’est l’une des grandes prises de conscience de l’heure : nous avons tous une santé mentale, et nous devons en prendre soin. C’est en tout cas le message de l’équipe du Centre d’apprentissage Santé et Rétablissement, qui nous a accordé une entrevue, pour nous inviter à repenser notre santé mentale comme autre chose que la simple absence de symptômes.
Basé sur le modèle britannique Recovery College, le Centre d’apprentissage Santé et Rétablissement (C.A.S.R.) propose des formations sur la santé mentale. La diversité des participants n’est pas juste souhaitable, elle est recherchée : personnes vivant avec une problématique en santé mentale, membres de l’entourage, intervenants et personnes ayant un intérêt pour ce domaine. Car le duo de formateurs agit à titre de facilitateur afin de faire émerger de l’intelligence collective, la complémentarité des savoirs théoriques, pratiques et expérientiels.
Au-delà de ce service, c’est une autre façon de concevoir la santé mentale qui guide les pratiques du Centre. « C’est un changement de paradigme, résume Myreille Bédard, formatrice-ressource du Centre. On passe d’un mode passif, à un mode actif. En effet, quand on considère uniquement la maladie, la personne est passive dans le sens où elle n’a pas les connaissances nécessaires pour prendre en charge son rétablissement, elle doit s’en remettre à une équipe traitante qualifiée. Lorsqu’au contraire, on se place dans une vision de la santé, la personne retrouve toute une latitude de choix pour en prendre soin, sans attendre l’apparition de symptômes. »
Alexandre Charest, coordonnateur du Centre, précise que cette vision participe à lutter contre la stigmatisation : « on ne se présente plus comme étant un anxieux, par exemple. On se présente comme étant une personne avant tout, qui vit avec une condition, l’anxiété. Il n’y a plus d’identification et de réduction de la personne à sa seule maladie. Au Centre, on va même plus loin : tous les participants sont des étudiants, il ne leur est jamais demandé s’ils ont un diagnostic, ni même des symptômes. On est dans de la formation, pas de l’intervention. »
Joanie Thériault, doctorante en ergothérapie associée au Centre, ajoute qu’on a « toujours considéré la santé et en particulier la santé mentale sur la base de la présence ou de l’absence de symptômes. Le champ de la psychiatrie a subi une double influence : de la santé physique d’une part (l’os est fracturé ou pas; on est dans une dichotomie : oui ou non, et ces critères servent à poser un diagnostic) et des origines de son fonctionnement d’autre part (pour comprendre la santé mentale, on a étudié les maladies mentales). » Les choses changent : « de plus en plus, on reconnait que la santé mentale existe sur un continuum qui va au-delà de la présence ou l’absence de symptômes. » La santé mentale n’est donc pas un état mais un spectre qui irait d’une excellente santé à une santé de plus en plus précaire, puis la maladie. Et pour cela, on constate qu’il faut aussi tenir compte du « contexte de vie des gens, leur environnement social, leur santé physique. (…) Personnellement, j’aime parler de santé intégrée qui considère à la fois la santé mentale, physique, relationnelle, interactionnelle. »
Proposer ce changement de vision à un niveau individuel est louable, mais sera-t-il suffisant pour qu’un changement à plus grande échelle s’opère? Nos interlocuteurs répondent par l’affirmative, tout en apportant quelques nuances. M. Charest met de l’avant que les changements de culture se font dans le temps, peut-être à la mesure d’un changement de génération. Mme Thériault rappelle l’intérêt croissant des entreprises à proposer des méthodes de travail favorisant la santé mentale de leurs employés. Et la COVID-19, en faisant émerger un besoin de revenir à la communauté, à ce qui est proche des gens, pourrait mettre la table pour qu’aient lieu des changements structurels.
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Source : Entrevue en visio-conférence du 01/05/2020 avec une partie de l’équipe du Centre d’apprentissage Santé et Rétablissement : Alexandre Charest, coordonnateur, Myreille Bédard, formatrice-ressource et Joanie Thériault, doctorante en ergothérapie, membre du CÉRRIS (Centre d’études sur la réadaptation, le rétablissement et l’insertion sociale) et associée au CASR. Propos recueillis par Kathy Guilhempey.