Jean-François Veilleux – février 2020

Le centième anniversaire de naissance de Robert-Lionel Séguin est propice à revaloriser l’œuvre et l’héritage de cet homme qui a voué sa vie entière à la sauvegarde du patrimoine matériel du Québec.

Né le 7 mars 1920 à Rigaud, Séguin est depuis l’enfance un amoureux des objets présents au quotidien, ceux qui racontent notre histoire. Et sa famille est bien ancrée dans le récit du Québec, car son premier ancêtre, François Séguin (1644-1704), s’est marié à Boucherville en octobre 1672 avec Jeanne Petit.

Au fil des années, et assez souvent avec son argent personnel, sa collection s’est largement enrichie : un marche-à-terre, 10 charrues, 100 catalognes, 1 000 outils, plus de 35 000 objets de musées, sans compter près de 10 000 livres. Dans sa biographie, Marcel Brouillard affirme que cet ethnologue ayant acquis une solide réputation internationale serait « le plus grand collectionneur privé du monde »!

Mais saviez-vous que sa collection personnelle est à Trois-Rivières? Par exemple, les bâtiments ancestraux derrière la veille prison au centre-ville, datant presque tous du XIXe siècle – une grange à encorbellement (vers 1835), la maison Quesnel (1854), un séchoir à maïs (1872), une baraque à foin, une porcherie à toit de chaume et deux laiteries – c’est lui. Ces petites habitations ont été acquises par ce passionné du terroir dans les années 1960 et 1970 et démontrent parfaitement les techniques architecturales traditionnelles.

Sa curiosité, ses études et son érudition le propulsent comme chargé de cours d’ethnologie et de folklore matériel à l’Université Laval de Québec. Robert-Lionel Séguin occupera aussi d’autres fonctions comme conservateur à Montréal, au petit Musée des arts appliqués, puis chargé de recherches sur le milieu matériel québécois de 1960 à 1965 pour le compte du Musée national du Canada. Dès 1963, Séguin est invité à siéger à la prestigieuse Société des Dix, une organisation d’historiens québécois fondée en 1935.

Robert-Lionel Séguin, ethnologue et collectionneur québécois (1920-1982) – Crédits photo: Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française

Celui que plusieurs nomment le « premier historien de l’homme québécois » (Homo Quebecencis) est invité à l’UQTR par Maurice Carrier et Gilles Boulet, dès sa fondation en 1969, afin de venir y fonder un secteur d’études québécoises qui deviendrait une des caractéristiques phares de la nouvelle institution. Séguin devient le premier directeur du Centre de documentation qui s’officialise lors d’une cérémonie le 5 octobre 1970. Un an plus tard, en décembre 1971, Robert-Lionel Séguin se détache du ministère des Affaires culturelles pour devenir officiellement professeur au département d’histoire. Avec ses 200 000 fiches sur les fondements de notre société, on le considère déjà comme le premier véritable ethnologue québécois. Il sera d’ailleurs à l’origine en 1975 de la Revue d’ethnologie du Québec, la première du genre.

En plus d’une multitude de diplômes (UdeM, Université Laval, la Sorbonne à Paris, Strasbourg), et deux romans inédits, il a également reçu plusieurs prix et honneurs. Au cours de sa vie, il a publié près de 10 000 pages dont une vingtaine d’ouvrages sur différents sujets touchant souvent la Nouvelle-France : les costumes, la maison, les divertissements, les ustensiles, l’injure, la vie libertine, les jouets, la sorcellerie, la civilisation traditionnelle de l’habitant, la danse traditionnelle, les granges du Québec, l’équipement aratoire et horticole du Québec ancien et même quelques pans de la révolution des patriotes en 1837-38.

Marié à Huguette Servant en octobre 1957, mais n’ayant pas eu d’enfant, c’est sa femme qui va s’efforcer d’accomplir l’importante mission patrimoniale de son mari après sa mort, qui s’éteint le 16 septembre 1982. Dès le 14 mai 1979, il avait signifié à l’UQTR son intention de rendre sa collection accessible au public et aux chercheurs. Sa collection évaluée alors à quatre millions de dollars, d’une valeur culturelle inestimable, devient officiellement la propriété de l’UQTR en juin 1983 grâce à un soutien dans son action par le ministère de l’Éducation du Québec et une collaboration avec quelques organismes de la Mauricie.

Désiré depuis des décennies, planifié par la fondation en 1985 d’une corporation dédiée à créer un musée, puis dirigé dès 1990 par Gilles Boulet (premier recteur de l’UQTR), le grand rêve de Séguin voit le jour avec la création officielle, en juin 1996, du Musée des arts et des traditions populaires du Québec. En juin 2003, il devient le Musée québécois de culture populaire puis le Musée POP en mai 2018. À sa fondation, il avait « le mandat de gestion, de conservation et de mise en valeur moyennant des frais annuels de 140 000$ », mais l’institution universitaire n’a jamais vraiment bonifié sa compensation financière pour remplir cette mission. L’UQTR a même tenté de céder la collection au musée pour la somme symbolique de 1$…

Le 17 janvier dernier, nous apprenions dans les pages du Nouvelliste que le litige entre le Musée POP et l’UQTR, au sujet de la collection de près de 23 000 objets culturels, devrait bientôt se résoudre. Alors que l’entente est échue depuis le 30 octobre 2003 (!), des négociations sont présentement en cours avec le ministère de la Culture et des Communications pour (enfin) régler ce dossier. Au moins, le bail de 25 ans avec la Commission scolaire du Chemin-du-Roy, qui accueille les collections du musée au 2750 boulevard des Forges, a été renouvelé en octobre dernier. Il y a un an, le Musée POP profitait aussi du changement de gouvernement pour négocier et demander davantage de subventions afin de poursuivre sa mission.

Espérons que nos dirigeants – appuyés par la volonté et les efforts de ceux qui font de la protection du patrimoine du Québec leur noble métier – soient plus responsables à l’égard de cet héritage précieux et unique, et que la société québécoise puisse sortir gagnante de la préservation d’un tel trésor national.


Sources:

*Mise à jour au 11 mars 2020 :

https://www.musees.qc.ca/fr/professionnel/actualites/le-musee-pop-officiellement-proprietaire-de-la-collection-robert-lionel-seguin?fbclid=IwAR2X3F-GEHEEKzvzi_F1P9a0H0IOymVCPYoz1HhtWRNVrtr8PoZj2NFq7Ds

Marcel BROUILLARD. L’homme aux trésors – Robert-Lionel Séguin, Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1996, 206 p.

Brigitte TRAHAN. « Collection Robert-Lionel-Séguin : le litige au bord du règlement », 17 janvier 2020, Le Nouvelliste. www.lenouvelliste.ca/arts/collection-robert-lionel-seguin-le-litige-au-bord-du-reglement-693ed849a72ebf8fb65d7498ec32856c

Catherine COURNOYER. « Le Musée québécois de culture populaire devient le Musée POP », 9 mai 2018, Tourisme Mauricie.

Guy GODIN. « Un musée ingrat et sans mémoire », 9 avril 2015, Le Nouvelliste. www.lenouvelliste.ca/opinions/un-musee-ingrat-et-sans-memoire-aa4c08d27d66ee839a061e5f74fd6988

Histoire du Musée des arts et des traditions populaires du Québec : www.uquebec.ca/mag/mag97_02/Doss.htm

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