Sébastien Houle
À quelques jours de la rentrée, je me suis retrouvé planté au milieu du rayon des effets scolaires d’une grande surface, liste d’achats à la main, l’œil inquiet.
Nous étions évidemment plusieurs parents à partager ce moment dénué de poésie. Ma liste, que m’avait fait parvenir l’école pour la rentrée prochaine de notre protégé, battait la mesure : un cartable de 2 po, deux tubes de colle format moyen de marque Pritt, 6 crayons HB avec efface, 24 crayons couleur Prismacolor, etc. Aucune latitude ni souplesse, les directives étaient limpides, à croire que c’était moi qui rentrais à la maternelle. L’allure crispée de mes congénères me confirma que je n’étais pas seul à sentir la liberté estivale me glisser sous les pieds. Voilà pour l’entrée en matière, et pour la gratuité scolaire, on repassera! Au moment de laisser aller la main de mon fils, qui s’apprêtait à goûter les valeurs que la société voulait bien lui insuffler par le biais de son système d’éducation, le cahier Canada made in China faisait, lui aussi, bien piètre figure en matière de symbole. Les emplettes académiques complétées, je désertai les lieux vaguement abasourdi et pour le moins songeur.
De retour à la maison, je tentais de demeurer calme et de paraitre optimiste, ne voulant en rien laisser poindre ma perplexité naissante aux yeux de Romain. C’est donc avec enthousiasme que nous avons rangé ses effets dans son nouveau sac d’un magnifique bleu, fabriqué à La Baie, au Saguenay — tout n’est pas perdu.
Pendant que nous rêvions à voix haute d’autobus jaunes et que mon enfant spéculait sur ses futurs camarades de classe, mes préoccupations glissaient furtivement vers son cursus. De quoi serait-il fait? Ou plutôt, comment s’articulerait-il? Du français, fenêtre ouverte sur le monde, apprendrait-il que le verbe « être » est plus porteur d’émancipation que le verbe « avoir »; qu’il est plus gratifiant de conjuguer au « nous » qu’au « je » et que liberté et altruisme ne sont pas des antonymes? Des mathématiques, que l’unité ne prend son sens que dans l’ensemble? De la géographie, que les frontières ne sont qu’inventions humaines? Lui enseignerait-on, en histoire, que Christophe Colomb n’a vraiment rien découvert et que l’on vivait ici depuis longtemps? Et que l’économie et la science demeurent stériles sans art et sans philosophie? De façon plus pragmatique, que lui arriverait-il s’il s’avérait être de ceux qui trébuchent plus souvent qu’à leur tour? Les ressources seraient-elles au rendez-vous si lire ou compter ne lui étaient pas du même naturel que lui est sa joie de vivre?
Comme tous les garçons de son âge, Romain s’imagine un jour pompier, ou chanteur, mais lui apprendra-t-on d’abord à être lui-même et à comprendre les siens? L’aidera-t-on à saisir son rôle dans ce monde complexe? À donner avant de prendre? À être citoyen d’abord, contribuable ensuite? À rêver noblement?
À l’heure de la rentrée, je me prends à souhaiter voir Romain devenir grand. Et à espérer une école qui soit à sa hauteur.