Alex Dorval – Regards sur nos patrimoines – Décembre 2020 Nous avons eu la chance de récolter les témoignages de deux citoyen(ne)s de Trois-Rivières ayant grandi au cœur de la paroisse Sainte-Marguerite. La générosité avec laquelle ils nous ont raconté leurs souvenirs du curé Chamberland, leur attachement à l’église et l’esprit de solidarité qui a marqué l’histoire de leur quartier nous rappelle en quelque sorte à notre « devoir de mémoire », alors que l’église Sainte-Marguerite vient d’être vendue par la fabrique de la paroisse Bon-Pasteur.
Aline Adam-Brault – ancienne résidente de Sainte-Marguerite
J’ai grandi dans une des maisons construites par mon père avec les autres pionniers coopérants du grand chantier d’habitation lancé par le chanoine Chamberland, un vrai prêtre-ouvrier. On est rentré dans notre maison en septembre 1948. On s’entraidait avec quatre autres familles de coopérants. Il ne fallait pas qu’une maison se bâtisse plus vite que l’autre. On montait un mur à la fois dans chaque maison. Sainte-Marguerite, c’était un champ. Le curé Chamberland a tracé des formes avec des blocs sur les terrains, puis il a invité les gens à se bâtir. Il a dit à mon père : « Donne-moi 10 $ pis je vais mettre ton nom sur la bâtisse. » Mon père a dit à ma mère : « As-tu 10 $ over ? » C’était gros à l’époque. Ma mère lui a donné pis on a eu notre maison.
Mon plus beau souvenir de la paroisse, ç’a été de voir la participation des gens. Ça participait pis ça s’entraidait ! Après avoir construit nos maisons, on a aussi aidé des gens pauvres qui vivaient dans des « sheds » aux limites de Sainte-Marguerite et de ce qui est aujourd’hui le quartier industriel près de la rue Saint-Joseph. Le curé a dit : « Faut sortir ces gens-là de d’là ! Ils vivent direct sur la terre. » Toutes les familles ont dû héberger un enfant chacun. On a reçu une petite fille de trois ans qui avait l’avant-bras rongé par les rats. On l’a accueillie chez nous. Elle ne connaissait pas ça, un bain pis se faire laver la tête. On vivait dans la maison de la coopérative. On n’était pas dans un château, mais on était dans une bonne maison.
On allait à l’église toutes les fins de semaine, même pendant que l’église se construisait. Au début, le curé Chamberland faisait la messe en montant sur une caisse d’orange. – Aline Adam-Brault
Il parlait fort, le Curé Chamberland. On l’entendait jusqu’en dehors de l’église ! Il se levait à cinq heures, il déjeunait, il allait faire sa messe pis il partait sur le chantier. En rentrant dans l’église, c’était inscrit : « Venez et je vous soulagerai ! » Ça ne nous est jamais sorti de l’idée, cette phrase-là. C’est une très belle église. Je me suis mariée là et j’ai enterré mon père là. On avait un reposoir tous les ans. Le curé exposait le Sacré-Cœur et faisait la messe en plein air. Il nous a tous fait poser le Sacré-Cœur dans nos maisons. C’est le protecteur du feu. Y’a pas une maison du curé Chamberland qui a passé au feu. On a gardé cette tradition-là. Je me souviens de monsieur Champagne, qui a chanté toute sa vie, sept jours par semaine, la messe au curé. Il était là à six heures du matin, il s’asseyait dans le banc en avant pis il chantait. « Es-tu prêt à venir chanter ? », lui lançait le curé. Puis il s’installait, il fermait les yeux. Des fois je pense même qu’il dormait en chantant, mais il chantait !
Ils ne m’ôteront pas le curé Chamberland. Pour ses funérailles, le curé Berthiaume est venu nous voir et nous a dit : « Vous autres là, les Brault, vous allez m’arranger ça pis me faire un buffet. » J’ai dit « Oui ! Je vais faire cette dernière chose-là pour le curé. » On a emprunté des « cabarets » à l’Institut de police de Nicolet où travaillait mon mari, puis on a pris le camion de Rosaire Joly qui avait une épicerie dans la paroisse. Tout le monde participait. On a continué à aller à l’église Sainte-Marguerite toute notre vie, même quand on a déménagé. Les dernières années, il y avait moins de messes, alors on a commencé à aller à Sainte-Catherine-de-Sienne, plus près de chez nous à Trois-Rivières-Ouest. Elle a été vivante cette paroisse-là ! Les gens ont tout fait pour cette église et cette paroisse-là ! C’est ça que j’aimerais que les gens retiennent de notre histoire. Le curé Rivard nous a expliqué pourquoi on est rendu à vendre les églises. Je comprends qu’on ne peut pas tout sauver, mais de voir tout ça tomber, c’est déplorable. On avait une chorale et plein d’activités dans cette église-là. Les gens ne s’arrêtent pas aujourd’hui, ils ne prennent pas de temps pour s’arrêter. Prendre un moment pour s’arrêter, c’est ça la foi pour moi. J’ai gardé ça de ce que mes parents m’ont montré. C’est sûr, vous pouvez penser que c’est une femme d’un âge avancé qui dit ça, mais on peut le voir d’une autre façon, je crois. Ils ne peuvent pas tout défaire de même. Laissez-nous au moins une place pour nous recueillir.
Honorer la mémoire de la paroisse Sainte-Marguerite
Jean Dubuc – Curé de la paroisse Sainte-Marguerite de 2006 à 2017
Quand j’ai été nommé ici dans Sainte-Marguerite, j’ai été nommé aussi à Saint-Sacrement, Saint-Jean-de-Brébeuf et Pie-X comme prêtre modérateur, et je travaillais avec une équipe de prêtres. Je suis maintenant prêtre retraité, mais je reste actif, entre autres chez les Dominicaines et dans quelques églises au Cap-de-la-Madeleine, dont Saint-Odilon et Sainte-Bernadette. Quand j’ai été honoré, quelques mois avant la mort du chanoine Chamberland, il m’a pris dans ses bras et m’a dit qu’il avait toujours cru que j’allais devenir prêtre.
Un chanoine, c’est un titre honorifique que Rome donne à un prêtre qui s’implique. Le curé Chamberland l’a reçu à cause de la coopérative d’habitation qu’il a fondée ici dans la paroisse. C’était un prêtre très simple, proche des gens. C’était un quartier rempli de coopérants. Comme dernier prêtre de la paroisse, j’en ai enterré plusieurs : les Champagne, les Plouffe, monsieur Meyers, monsieur Martel… il n’en reste plus beaucoup. On construisait toute une rue sans savoir à qui irait la maison. On construisait égal pour tous pis on tirait au sort après. Puis il y a eu le chantier du quartier des « sheds » dont parle Aline Adam et qu’on appelait « Le Petit Canada ». Ces gens-là venaient à l’école avec nous et on en avait peur. Mais le Curé Chamberland a tenu à ce qu’on les aide, comme il l’avait fait avec nos familles. Le curé était apprécié ici, mais aussi dans les autres paroisses. Surtout dans les quartiers populaires comme Sainte-Cécile et Saint-Philippe. Je pense que tout ce qui a été déterré sur certains prêtres dans les dernières années n’a pas aidé la cause de l’église. Mais je le dis souvent aux gens : des bons prêtres, il en reste encore ! « Aidez-vous les uns les autres », c’est l’image qu’on retient de Chamberland. Ça existe encore. On va peut-être être appelé à le vivre ailleurs que juste à l’église, mais la paroisse Sainte-Marguerite n’est pas morte, le quartier existe encore. C’est sûr que je l’ai vue venir, la vente des églises. Ce n’était pas la première fois que ça se parlait. Ce que les gens n’ont pas saisi et qui les a choqués, c’est qu’on ne pouvait pas en parler jusqu’à ce que ce soit réglé. Par émotivité, j’avais indiqué que je n’irais pas à la première rencontre avec les promoteurs. Puis finalement j’y suis allé et je suis très content de l’avoir fait. Maintenant je fais confiance aux gens pour qu’ils construisent de quoi de beau. Il y a des spécialistes au sein du diocèse qui racontent aux promoteurs l’histoire de nos églises. Il y a un beau lien entre eux et l’évêché. Le projet qui s’en vient dans Sainte-Marguerite s’inscrit en lien avec l’histoire de la paroisse et l’héritage du chanoine Chamberland. Tout ce qui est sacré et liturgique a été envoyé ailleurs dans d’autres églises qui en avaient besoin. La foi va rester là, le bon Dieu va rester là, en dehors de l’église et des rituels de célébration. Je parlais avec une de mes collègues récemment : elle me disait qu’à Louiseville, il y a 14 églises et il n’y en a aucune de fermée à ce jour. Ça prend des familles pour assurer la relève de la société, comme ça prend des familles pour assurer la relève de l’église. Je suis optimiste.