Depuis plus de 15 ans, Jean Boileau se consacre principalement à l’écriture. Il a coécrit le long-métrage Les fleurs oubliées (2019), du réalisateur André Forcier, et plus récemment il a été coscénariste et acteur dans le film Ababouiné (2024), une collaboration qui lui a valu une nomination pour le prix Iris du meilleur scénario à la 26e cérémonie du Gala Québec Cinéma.
C’est dans le quartier Sainte-Cécile, à Trois-Rivières, que je suis allé à la rencontre de Jean Boileau, chez lui, dans un lieu qui semble être le reflet de son esprit créatif. L’atmosphère rappelle une maison du début du siècle. Des bibliothèques débordantes de livres occupent plusieurs murs, témoins de son amour pour la littérature, et, au milieu de la pièce, un casque de scaphandrier trône fièrement, comme un clin d’œil à son imagination. On s’installe confortablement, et après quelques échanges informels, je sens qu’il est prêt à parler de son parcours. Curieux de comprendre comment un esprit aussi polyvalent jongle avec autant de disciplines, je brise la glace en lui posant ma première question.
Comment décrirais-tu ton parcours artistique, en tenant compte de la diversité des disciplines dans lesquelles tu as œuvré ?
Auteur, dramaturge, et aussi scénariste. J’ai touché à plusieurs formes d’écriture. J’ai écrit des nouvelles littéraires, j’ai créé des pièces de théâtre, travaillé sur des scénarios pour le cinéma, et en parallèle, je m’intéresse aussi beaucoup à la photographie. Un peu comédien aussi, au cinéma, mais très peu.
Comment as-tu réussi à conjuguer un emploi exigeant et une discipline aussi rigoureuse que l’écriture ? Qu’est-ce qui te motivait à maintenir ce rythme ?
J’ai passé environ cinq ans à travailler dans la construction, puis 35 ans dans une usine d’aluminium. Je faisais des quarts de jour et de nuit, ce qui représentait un horaire déjà très chargé de 42 heures par semaine. Malgré tout, je m’imposais de consacrer au moins 40 heures par semaine à l’écriture, sans exception. Parfois, je dépassais ce chiffre, mais je descendais rarement en dessous. Selon moi, pour réussir et progresser sérieusement en écriture, il faut y consacrer autant d’efforts qu’à un emploi à temps plein. Il n’est pas question de faire ça à temps partiel si on veut véritablement percer et bâtir une carrière.
Peux-tu nous raconter comment tu as vécu la publication de ta première nouvelle dans un magazine aussi connu que le Reader’s Digest ? Qu’est-ce que ça a changé dans ta façon d’écrire ou de voir la littérature ?
Ça s’appelait Le crotale, et ça a été publié dans le Reader’s Digest en 1989. Vous savez, ce petit magazine que tout le monde laisse traîner sur le réservoir des toilettes ? Eh bien, mes parents étaient abonnés à ce magazine. Deux fois, j’y ai vu des nouvelles, même si ce n’était pas habituel, car le RD n’en publiait pratiquement jamais. À l’époque, j’avais écrit une nouvelle et je me suis dit : pourquoi ne pas tenter ma chance ? J’ai envoyé mon texte, et on a accepté de le publier ! Sur le moment, je m’imaginais qu’on allait publier une nouvelle par mois, mais non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Après cette expérience, je me suis efforcé de raffiner mon style, du moins je l’espère. Par la suite, j’ai écrit quatre nouvelles pour XYZ, une revue littéraire québécoise qui se consacre exclusivement à la nouvelle. Contrairement à d’autres périodiques, il n’y a ni poésie ni autre type de texte dans XYZ, ce qui en fait une belle plateforme pour ce genre littéraire, même si c’est moins payant.
Tu sembles avoir évolué dans plusieurs sphères artistiques, du théâtre au cinéma. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire la transition entre ces mondes, et comment ces expériences se complètent-elles dans ton parcours ?
Eh bien, mis à part les nouvelles, qui sont malheureusement un genre littéraire peu lu aujourd’hui, j’ai commencé mon parcours artistique en théâtre. J’ai toujours eu une facilité pour écrire des dialogues, ce qui m’a naturellement dirigé vers cet univers. Pendant quatre ou cinq ans, j’ai écrit quasiment une pièce par année, et elles étaient jouées ici, au Québec, mais aussi un peu partout à l’extérieur de la province.
Par la suite, je me suis orienté vers le cinéma. J’avais commencé à travailler sur un scénario personnel, un projet qui m’a occupé pendant près de 10 ans, mais qui n’a jamais vu le jour, malheureusement. En parallèle, j’ai commencé à collaborer avec André Forcier. Au départ, il me demandait simplement de lire ses scénarios et de lui donner mon avis. Petit à petit, à force d’échanger et de proposer des idées, j’ai fini par devenir un collaborateur à part entière. Pour ses trois ou quatre derniers films, j’ai joué un rôle plus actif, devenant carrément scénariste. Cela demandait énormément de temps : on parle de deux années au minimum, à temps plein, pour écrire un scénario. Pour le dernier film, non seulement j’ai écrit avec Forcier, mais il m’a également offert un rôle, ce qui a été une expérience vraiment enrichissante.
Après avoir expérimenté le cinéma et ses contraintes, qu’est-ce qui te séduit le plus dans l’idée de retourner au théâtre ? Est-ce la liberté créative ou le rapport plus direct avec le public ?
Oui, c’est intéressant de voir où tout ce cheminement m’a mené, notamment jusqu’à ce que je participe au Gala Québec Cinéma. Cela dit, le cinéma est un processus extrêmement long et exigeant. Il y a des défis politiques à surmonter, en plus de toute la question des budgets, qui peuvent facilement atteindre plusieurs millions.
C’est pour ces raisons que je réfléchis sérieusement à revenir au théâtre. C’est un médium beaucoup plus simple et direct. Comme disait une de mes connaissances, avec trois bouts de ficelle on peut monter quelque chose de très significatif. Le théâtre n’exige pas les ressources énormes du cinéma. De plus, mon écriture est principalement axée sur les dialogues, ce qui s’intègre naturellement au théâtre. C’est là que je me sens le plus à ma place.
Avec tout ce que tu as accompli jusqu’à présent, quel serait ton plus grand souhait pour la suite de ta carrière ?
Mon souhait est un peu contradictoire, car il est lié à un projet qui me tient à cœur. Nous travaillons actuellement sur une idée relative aux cinq zouaves, ces personnages du dernier film de Forcier. Ce ne serait pas une suite à proprement parler, mais plutôt un « concept dérivé », une nouvelle histoire mettant en scène ces mêmes personnages.
J’aimerais vraiment voir ce projet se concrétiser. Imaginer un film avec les cinq zouaves, en uniforme, dans une comédie complètement déjantée, quelque chose de vraiment drôle et mémorable, ce serait extraordinaire. C’est un projet qui me passionne, et j’espère qu’il pourra voir le jour.
Un artiste passionné et tenace
Au vu de son parcours, on ne peut qu’admettre que Jean Boileau est un artiste multidisciplinaire, passionné et tenace. De ses débuts dans la construction et à l’usine d’aluminium jusqu’à sa rigueur d’écrivain et à son autodiscipline, il a su transformer ses efforts en une carrière riche et variée. Théâtre, cinéma, nouvelles littéraires : chaque discipline semble avoir trouvé sa place dans son univers, avec une constante, son amour pour les dialogues.
Malgré les défis logistiques et financiers du cinéma, Boileau conserve une passion pour raconter des histoires, que ce soit sur scène ou à l’écran. Son envie de revenir au théâtre illustre ce besoin d’authenticité et de simplicité dans son art, tout comme son exploration de nouveaux projets ambitieux.
Mais au-delà de son propre travail, il est aussi façonné par les œuvres qui l’ont marqué et inspiré. Alors, pour conclure, j’ai voulu savoir quels sont ses cinq livres ou auteurs préférés, ceux qui ont influencé son parcours et nourri son imaginaire.
Lorsqu’il est question d’inspirations littéraires, les choix de Jean Boileau reflètent une belle diversité d’influences et une admiration sincère pour des œuvres marquantes. Sans hésitation, il place en tête Haruki Murakami, cet auteur japonais dont l’œuvre, selon lui, relève du génie. Vient ensuite Marcel Pagnol, particulièrement pour ses Souvenirs d’enfance, qu’il adore. Antoine de Saint-Exupéry figure également parmi ses favoris, avec un univers qu’il qualifie de fascinant. Michel Tremblay, un incontournable de la littérature québécoise, occupe aussi une place de choix. Enfin, dans le domaine de la bande dessinée, Greg, créateur d’Achille Talon, dont il ne se lasse jamais du style, complète son palmarès.
Il reconnaît toutefois qu’il n’aime pas toujours sans réserve l’œuvre entière d’un-e auteur-e. Par exemple, il trouve les essais d’Eugène Ionesco fascinants, mais son appréciation de son théâtre se limite principalement à La Cantatrice chauve.
Cet échange met en lumière un créateur à la curiosité insatiable, à la fois influencé par des figures littéraires majeures et ancré dans une démarche artistique personnelle. Entre la profondeur des romans, la richesse du théâtre et l’humour décalé des bandes dessinées, il continue de tracer son propre chemin avec passion et authenticité.