Jean-Claude Landry – Dossier Économie sociale: Les défis de collectivité
Dans un univers hautement compétitif comme le secteur financier, offrir dans sa gamme de portefeuilles de placements un produit ne générant aucune plus-value monétaire pour celles et ceux qui les acquièrent pourrait paraître plutôt exceptionnel. Que cette opportunité soit présentée comme avantage comparatif par rapport à la concurrence et constitue un élément de promotion de l’institution aurait également de quoi étonner.
Pourtant une telle opportunité existe réellement et elle est offerte par une institution financière elle-même d’exception, la Caisse d’économie solidaire dont l’origine remonte aux luttes ouvrières des années 20. Deux caisses populaires avaient alors été fondées, l’une à Québec, l’autre à Montréal, pour regrouper les épargnes des membres de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, l’ancêtre de l’actuelle CSN.
Ancrée dans le territoire
Près de 100 ans plus tard, la Caisse compte un membrariat des plus diversifiés : groupes féministes, écologistes, de défense de droits, coopératives d’habitation, Premières Nations, citoyens engagés, associations étudiantes et organisations syndicales bien sûr. Pas étonnant que la Caisse d’économie solidaire soit maintenant, au Québec, la principale institution financière des mouvements sociaux. Une institution qui couvre l’ensemble du territoire québécois d’est en ouest et du sud au nord, jusqu’au Nunavik où des services de Caisse sont offerts dans 14 communautés de ce vaste territoire.
Plus de 15 000 membres, 2,2 $ milliards de volume d’affaires et un actif s’élevant à 1.1$ milliard, aussi impressionnants que soient ces chiffres, c’est sa mission et sa philosophie de gestion qui fait de la Caisse une institution financière bien particulière.
« Donner du sens à l’argent », « Être une banque sociale », « Faire de la banque autrement », « Fabriquer de la richesse collective », il y a peu de chances d’entendre des expressions du genre dans les assemblées statutaires ou dans les rapports annuels des institutions financières conventionnelles. Des expressions qui font pourtant partie du langage courant des dirigeants de la Caisse d’économie solidaire. Du langage, mais aussi du geste, comme en témoignent certaines initiatives sociales et financières propres à cette institution.
En soutien à l’action collective la Caisse s’est dotée d’une pratique et d’instruments financiers témoignant de son caractère nettement distinct dans le monde de la finance et de l’épargne. Distinct par le choix collectif qu’ont fait, dès les débuts, les membres de délaisser la ristourne individuelle pour la canaliser dans des projets collectifs. Distinct par la mise en place de L’Épargne solidaire, cette offre permettant aux membres de donner un rendement social à certains de leurs placements en renonçant aux intérêts générés pour plutôt alimenter un Fonds de soutien à l’action collective solidaire auquel peuvent recourir des emprunteurs à la recherche d’un crédit socialement responsable. Distinct par cette volonté constante de soutenir le développement de l’économie sociale et solidaire en misant d’abord sur l’entrepreneuriat collectif et une ouverture manifeste aux initiatives et projets d’affaires provenant des milieux communautaires, coopératifs, culturels, associatifs et, bien évidemment, syndicaux.
La centralisation de Desjardins
La Caisse déploie ses activités dans une économie de plus en plus financiarisée et dans le contexte d’une importante démarche de centralisation du Mouvement Desjardins. Une centralisation qu’il doit harmoniser avec les obligations démocratiques liées à son statut coopératif. Une démarche qui, au surplus, ne se fait pas sans heurts dans les communautés concernées où on s’interroge sur la véritable volonté d’ancrage locale du Mouvement. Face à un tel contexte, continuer à « Faire de la banque autrement » représente un défi de taille.
On perçoit d’ailleurs comme une inquiétude à ce propos dans le plus récent rapport de M. Gérald Larose qui, depuis douze ans, présidait les destinées de la Caisse d’économie solidaire. On peut y lire : « Cette tendance lourde [centralisation accrue] fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile pour notre Caisse solidaire de maintenir son originalité, sa créativité, son espace vital … Je quitte donc le poste de président rempli d’espoir et surtout avec l’assurance que Desjardins fera le nécessaire pour assurer le plein épanouissement du potentiel de la Caisse d’économie solidaire. Nous vous en ferons rapport. »
Une évolution qu’ont intérêt à suivre de près celles et ceux qui ont le souci du bien commun !