Réal Boisvert, septembre 2015
7h00 : La journée n’est pas commencée que Marie-Pierre est déjà à l’ouvrage. La machine tourne à plein régime, alimentée par l’insomnie et les réveils hâtifs. Ne pas oublier de passer chez Wall Mart pour acheter des cahiers Canada. Tant qu’à les payer de ma poche, aussi bien profiter du fait qu’ils sont en solde à 5 ¢ l’unité. Écrire un mot à la mère de Caro pour lui dire que sa fille ne fait pas ses devoirs. Non ! À quoi je pense ? La mère de Caro ne sait pas lire… Je l’appellerai sur l’heure du midi…
Marie-Pierre enseigne dans une école dite défavorisée. Précision : ce ne sont pas les élèves qui sont démunis. C’est le quartier qui est à la traîne. Ce sont les parents qui en arrachent. Qu’à cela ne tienne ! Marie-Pierre n’a pas pour mission de combattre l’injustice sociale. Non, dès la première heure du matin, ce qu’on lui demande, c’est de s’occuper de 25 petites têtes bien faites, un nombre égal de vies en plein essor, tout autant de cerveaux avec des milliards de neurones en expansion, des cœurs vifs, de vrais petits détecteurs de mensonges sur pattes à qui il faut tout donner, pour qui de toute façon on ne ménage rien car la passion d’enseigner pour Marie-Pierre vient bien avant les difficultés de la classe. Le champ de bataille – pardon ! – , la classe compte cette année cinq élèves qui ont des troubles de comportement ou des besoins particuliers, un élève qui est en attente de classement, trois ou quatre élèves plus doués que la moyenne, la moyenne elle-même, ensuite quelques autres ayant soit un embarras en grammaire, un désintérêt pour les sciences, des difficultés en maths… ou bien les trois ensemble.
10h00 : L’heure de la récrée n’a pas encore sonné. Les imprévus ont pris le dessus. Quand même ! Le rattrapage ne sera pas trop difficile. Marie-Pierre et ses collègues ont l’habitude de prendre l’heure du midi pour planifier l’imprévisible, partager les contenus pour les tâches matérielles, créer de toutes pièces des cahiers d’activités scolaires car ceux qui sont en vente sont hors de prix, se mettre à jour en matière de formation… et… voir comment suppléer au manque chronique et cruel de soutien en orthopédagogie, en éducation spécialisée, en psychoéducation, en bibliothéconomie, en psychologie et le reste.
13h00 : Déjà 13 h ! On dirait que l’heure du dîner ne compte jamais 60 minutes à l’école. Retour en classe. Petit rappel pour préparer la matinée du parascolaire de demain. Concert de l’OSTR. Quoi ? Tut ! tut ! Les sceptiques seront confondus… Promis ! Il manque cinq élèves. Les parents de Frédéric et ceux d’Émilie ont demandé une dispense. Ça ne leur tente pas. Pas de nouvelles des trois autres. Quand on va revenir sur cette activité en classe, qu’est-ce que je vais faire avec eux ?
15h00 : Marie-Pierre est à bout de souffle. Les corrections ne sont pas faites. Les heures de surveillance ne sont pas réparties. Personne n’est disponible pour l’aide aux devoirs. Oups ! J’ai oublié de téléphoner à la mère de Caro. Tant pis, je le ferai après souper.
Courage Marie-Pierre ! La relâche arrive dans deux semaines. Les vacances dans 140 jours ouvrables… La relâche ?