Thérèse Jean, Pierre-Olivier Boudreault et François Poisson, mai 2019
Le 25 avril 2019, Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec, confiait au Devoir qu’il y a «de plus en plus d’évidences que les changements climatiques ont un impact sur l’incidence des inondations». À l’invitation du premier ministre du Québec, François Legault, des centaines de personnes sinistrées songent maintenant à se relocaliser. Tandis qu’on suggère à ces personnes de revoir leur mode de vie, on promeut des projets industriels qu’on sait dommageables pour le climat : «Business as usual».
630 000 tonnes de GES de plus
La construction d’une usine de méthanol et d’urée à Bécancour, ProjetBécancour.ag, ajouterait dans l’atmosphère 630 000 tonnes de gaz à effet de serre (GES) par année, soit l’équivalent d’une ville de 70 000 habitants ou de 180 000 voitures. Une fois en marche, l’usine pomperait à elle seule 22% du gaz naturel consommé au Québec. Les GES qui seraient produits sont ceux associés à la combustion de carburants : le dioxyde de carbone (CO2), unité de mesure, et le méthane (CH4) – 36 fois plus «réchauffant» que le CO2. Selon les promoteurs, cette usine deviendrait la 12e plus grande émettrice de GES au Québec. En outre, ces émissions ne tiennent pas compte de l’effet cumulatif de celles produites en amont par l’exploitation et le transport du gaz naturel, ni de celles que dégagerait l’urée qui, une fois répandue dans les champs, libère du protoxyde d’azote (N2O), un GES 298 fois plus «réchauffant» que le CO2 (Ecometrica, 2015).
Le méthanol et l’urée seraient respectivement destinés à la fabrication de produits manufacturiers et à l’agriculture. Selon les promoteurs : «Le fait d’envisager une usine de fabrication intégrée réduira considérablement les émissions globales de gaz à effet de serre par rapport à deux usines séparées utilisant les meilleures technologies disponibles» (SNC-Lavalin, étude d’impact environnemental). Mieux, disent-ils, «si le projet ne se fait pas ici, selon nos normes environnementales, parmi les plus sévères, il se fera ailleurs et les GES émis en plus grande quantité se retrouveront dans l’atmosphère» (ProjetBécancour.ag, site Internet). Comme si, évitant le pire ailleurs, on choisissait le mieux ici. Comme si les émissions de GES s’arrêtaient aux frontières des États.
Plafonner et réduire les émissions de GES
L’Amérique du Nord fait piètre figure dans sa lutte contre les changements climatiques. Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète, et le nord du pays se réchauffe encore plus rapidement. Les rapports des experts scientifiques ne cessent de le répéter : pour limiter l’augmentation moyenne de la température à moins de 2 °C, il faut plafonner immédiatement les émissions de GES et les réduire rapidement et de façon importante par la suite. Le Québec, tout comme le Canada, est partie prenante des accords internationaux pour réduire les émissions de GES. Malgré ces engagements, ce n’est pas à leur réduction que nous assistons mais à leur augmentation. En 2020, les émissions de GES devaient se situer à 20% sous le niveau de 1990. On le sait maintenant, cet objectif est hors de portée.
Devant cet échec, le gouvernement Legault a reporté de 10 ans l’atteinte de cette cible, pelletant en avant les efforts de réduction des émissions de GES et rendant encore plus ardue l’atteinte, en 2030, d’une diminution de 37,5% des émissions de GES par rapport à leur niveau de 1990. Entretemps, les annonces fusent de partout : gazoduc et usine de gaz liquéfié au Saguenay, troisième lien routier à Québec, projet ferroviaire de 370 kilomètres entre Dolbeau-Mistassini et Baie-Comeau afin d’acheminer du charbon et du pétrole de l’Ouest canadien vers les marchés extérieurs… Tous des projets qui éloigneront davantage le Québec de ses objectifs en matière de réduction d’émissions de GES. Des milliers et des milliers de tonnes de GES qui anéantiront les efforts que les citoyennes et les citoyens déploient pour faire partie de la solution face au défi le plus titanesque qui soit : inverser le cours des bouleversements climatiques.
Dans un tel contexte, une usine de méthanol et d’urée, ici ou ailleurs, est une usine de trop. Le BAPE devra se pencher sur ce projet. D’ici-là, il serait urgent que le gouvernement et les promoteurs de ProjetBécancour.ag nous expliquent comment les cibles de réduction de GES seront atteintes d’année en année.
Les auteur(e)s Thérèse Jean, Pierre-Olivier Boudreault et François Poisson s’expriment ici au nom d’Alternatives Bécancour, une coalition de groupes citoyens et d’individus rassemblés dans le double objectif de s’opposer au projet d’usine de méthanol et d’urée, et de proposer des alternatives de développement cohérentes avec la lutte aux changements climatiques et la protection de l’environnement.