Marc Langlois – Société – décembre 2021 

Les difficultés d’accès d’une partie importante de la population aux médecins omnipraticiens ont grandement alimenté l’actualité des dernières semaines. Tant le gouvernement de la Coalition avenir Québec que les professionnels de la santé ont proposé de nombreuses solutions afin de remédier à la situation : décentraliser les services de santé, sanctionner les médecins qui n’atteignent pas un quota prédéterminé de patients, donner plus de pouvoir aux autres professionnels tels que les pharmaciens et les infirmières praticiennes spécialisées, repenser la place du privé dans l’octroi des soins, etc.

Or, malgré ces nombreuses propositions d’ajustements systémiques, peu d’entre elles remettent en cause les dysfonctions mêmes du système de santé. Sans avoir la prétention de proposer des solutions miracles, la sociologie de la santé offre des clés de compréhension qui pourraient changer notre façon d’aborder cette problématique et remettre en question l’approche même dudit système de santé.

En plus de traiter différentes maladies et pathologies, le système de santé prend en charge de plus en plus de « problèmes » qui ne sont pas médicaux au départ. Photo : Dominic Bérubé.

La médicalisation, une tendance lourde

Depuis les années 1950, nous assistons à un processus de (sur) médicalisation du système de santé, c’est-à-dire qu’en plus de traiter différentes maladies et pathologies, le système de santé prend en charge de plus en plus de « problèmes » qui ne sont pas médicaux au départ. En effet, la médecine supervise désormais des aspects non médicaux de la vie tels que des processus naturels (grossesses, prise en charge des personnes âgées, syndrome prémenstruel, ménopause, etc.), des déviances (dépendances, sexualité, maladies et troubles mentaux, etc.), des aspects de la vie quotidienne (habitudes de vie, deuil, etc.), et des problèmes sociaux (échecs scolaires, dépression, épuisement professionnel, etc.). Par cette prise en charge, la médecine vient désormais définir ce qui est dans la norme (la santé) et ce qui est hors-norme (maladie); s’ensuit ainsi un processus de pathologisation de la vie sociale. Or, pour de nombreux exemples précédemment énumérés, les contextes sociaux, environnementaux et économiques sont des déterminants plus importants de l’état de santé, déterminants sur lesquels la médecine intervient peu.

En plus d’une prise en charge de la médecine via des actes médicaux, il y a aussi une prise en charge financière. Le « billet médical » sert à justifier des absences, des congés et permet aux patients de faire des réclamations auprès des systèmes d’assurance. Effectivement, de nombreux autres professionnels (infirmières, pharmaciens, nutritionnistes, kinésiologues, physiothérapeutes, psychologues, travailleurs sociaux, enseignants, etc.) pourraient davantage être impliqués dans une telle prise en charge afin de considérer l’ensemble des déterminants de la santé et de diminuer la dépendance systémique aux médecins omnipraticiens.

Démédicaliser : d’un modèle biomédical à un modèle écosystémique

Cependant, il faut garder à l’esprit que le processus de (sur) médicalisation du système de santé, en prenant en charge trop de situations non médicales et en déplaçant la norme et l’hors-norme, rend davantage malade qu’il ne réussit à soigner et soulager la maladie. Ce paradoxe, soulevé par le philosophe Ivan Illich, implique que la médecine contemporaine gagnerait à se démédicaliser. En d’autres termes, la médecine ne devrait plus prendre en charge de manière exclusive des processus naturels, des déviances, des aspects de la vie quotidienne et des problèmes sociaux. L’histoire nous donne quelques exemples où une situation n’est plus désormais définie en termes médicaux ou pathologiques : la masturbation, la circoncision ou l’homosexualité.

La démédicalisation n’est pas un processus simple et demande un changement de paradigme qui sera complexe à mettre en œuvre, en raison des enjeux politiques et financiers sous-jacents. Pour ce faire, la médecine contemporaine doit passer d’un modèle biomédical à un modèle écosystémique. On passerait ainsi d’un système curatif à un système préventif, où l’on cherche à diminuer l’exposition des groupes sociaux et des populations aux différents facteurs de risque. À l’instar des mesures sanitaires adoptées durant la pandémie afin de diminuer la pression sur la « première ligne », il serait également possible de prendre des mesures préventives importantes pour réduire la pression sur les médecins omnipraticiens, par exemple, dans des cas d’obésité, de dépression, d’épuisement professionnel ou de suicides.

 

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