Alex Dorval – Dossier L’Université de demain – septembre 2021
L’offre universitaire québécoise se déploie aujourd’hui dans un contexte de marché international. Non seulement les universités s’arrachent-elles les meilleurs chercheur.es, elles entrent également en concurrence pour attirer la clientèle étudiante étrangère.
Concurrence universitaire et clientèle étrangère
En vigueur depuis 2018, la plus récente version de la Politique québécoise de financement des universités a instauré la déréglementation des frais de scolarité. Alors que l’objectif était de permettre aux universités d’obtenir une nouvelle source de revenus, « cela a mis les universités québécoises en concurrence pour attirer les clientèles étudiantes étrangères. Ça a nui aux universités à l’extérieur des grands centres et à celles qui n’ont pas les programmes les plus populaires », indique M. Bégin-Caouette. Le rapport du scientifique en chef recommande que le gouvernement fasse marche arrière sur cette déréglementation des frais de scolarité et rappelle l’importance d’accroître les synergies au sein du réseau universitaire québécois. Dans son rapport sur l’éducation supérieure de l’après-Covid, la Société Royale du Canada souligne la baisse d’inscriptions des étudiants étrangers en contexte pandémique et appelle le gouvernement fédéral à agir contre la précarité d’un modèle de revenus de plus en plus dépendant de cette clientèle.
Mais au-delà des considérations financières, certains ont fait valoir que le fait de charger jusqu’à dix fois plus cher à des étudiants issus de l’immigration pose divers problèmes sur le plan éthique. « L’éducation n’est pas une marchandise et le financement des universités doit être considéré comme un service public et ne doit pas se faire sur le dos des étudiantes et étudiants étranger », peut-on lire sur le site du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université Laval (SCCCUL) qui a rejoint les rangs de la Coalition Unicode (Unies contre la dérégulation des frais de scolarité).
Il faut aussi comprendre selon M. Bégin-Caouette que « les étudiants étrangers sont recrutés aux cycles supérieurs, car ce sont des étudiants de grande qualité qui viennent enrichir notre capacité à faire de la recherche. »
L’enseignement à distance : pour le meilleur ou pour le pire
La dynamique de concurrence entre les universités s’arrachant la clientèle étrangère pourrait également s’accroître en contexte post-pandémique alors que les institutions allongent leur offre de formation à distance. « Sur le plan éthique, c’est actuellement l’enjeu fondamental de l’enseignement à distance », croit Normand Landry, professeur en Sciences humaines, Lettres et Communication à la TÉLUQ et membre chercheur à l’Observatoire du numérique en éducation (ONE).
L’enseignement à distance s’est justifié historiquement comme moyen d’accroître l’accessibilité à des étudiants dont le mode de vie, l’emploi, le contexte familial ou des limitations physiques empêchaient de poursuivre des études supérieures. Mais de ces principes d’accessibilité et de flexibilité, « on est passé à un modèle de volume et une vision marchande de l’éducation supérieure », déplore M. Landry, ajoutant que « le numérique fait assurément partie de l’arsenal des moyens déployés par les universités pour recruter des clientèles étrangères ». Cela s’inscrit selon le professeur dans un contexte de mise en concurrence des universités due au sous-financement public. Le phénomène de « délocalisation et de multiplication des campus » à l’extérieur des lieux d’origine des universités serait également symptomatique de cette « stratégie de mise en concurrence ».
Un autre enjeu relié au numérique est celui de la propriété intellectuelle. À qui appartient le cours ? Au professeur qui l’a monté ? À l’université qui le finance et le met en marché ? Et le chargé de cours là-dedans ?
« Ce n’est pas une problématique propre à la TELUQ, mais des professeur.es m’ont affirmé avoir vu les cours qu’ils ont montés être donnés pendant plusieurs années sans leur consentement », indique M. Landry. « Si le cours n’est plus à jour, c’est la réputation et l’expertise du professeur qui est mise à mal. La question du contrôle sur la diffusion du cours et sur sa vie, c’est quelque chose de très important et qui devrait être intégré dans les conventions collectives », affirme M. Landry.
Mais les technologies de l’information ne présenteraient pas que des aspects négatifs. « Ça peut amener des enjeux au niveau de l’offre de certains établissements, mais ça peut aussi permettre de pérenniser des formations moins populaires en les ouvrant à des clientèles externes », fait valoir Cathia Papi, directrice de ONE et professeure au Département Éducation à la TÉLUQ. L’enseignement à distance contribuerait également à renforcer l’autonomie d’apprentissage des étudiant.es, « et c’est quelque chose qui va les suivre pendant toute leur vie professionnelle », souligne-t-elle.
Mme Papi est d’avis que le défi principal pour les enseignants est de développer des nouvelles compétences tout en enseignant, en plus de devoir adapter des cours qui existent déjà à la réalité du numérique. Elle précise en ce sens que la formation J’enseigne à distance a permis d’accompagner à ce jour près de 220 000 utilisateurs de plus de 174 pays. « Le succès vient du fait qu’on en soit pas resté à la formation technologique, mais qu’on a abordé les divers enjeux, contraintes et potentialités du numérique en enseignement. » Cette formation est offerte par la TÉLUQ et le gouvernement du Québec en collaboration avec plusieurs cégeps et universités québécoises.