Jean-Claude Landry – Dossier spécial Covid-19: Solidarité régionale – Avril 2020
Un choix exigeant mais gagnant
La course effrénée à travers le monde pour l’obtention de masques médicaux N95 a mis en lumière une vulnérabilité décriée par les milieux critiques de la mondialisation à tout crin mais à laquelle les élites politiques et économiques sont, jusqu’à maintenant, restées sourdes. La forte libéralisation du commerce qu’a générée la multiplication des traités de libre-échange a conduit à un tel niveau d’intégration des chaînes de production que la majorité des pays se retrouvent aujourd’hui dramatiquement dépendants de l’étranger pour avoir accès à une foule de biens et services. L’épisode des masques constitue en quelque sorte un révélateur des risques auxquels nous sommes dorénavant exposés face à d’autres crises ou catastrophes planétaires. Sans oublier, bien sûr, l’impact dévastateur de cette libéralisation sur les emplois de secteurs économiques entiers victimes de la délocalisation du travail vers des pays à bas salaires. La mise en place par le gouvernement du Québec du répertoire Le Panier Bleu en vue de dynamiser le commerce local et venir en aide aux entrepreneurs est à cet égard une initiative tout à fait bienvenue. Mais choisir de vivre son quotidien en « achetant local » c’est relever un bon défi. Un défi que s’est donné le journaliste et communicateur Frédéric Choinière en s’engageant, comme il le dit lui-même, à « ne consommer [pendant une année entière] que des aliments, biens et services produits au Canada et [à faire en sorte] que tout ce qui est importé soit hors de [sa] portée ». Une démarche qui fait l’objet de la mini-série documentaire « Ma vie made in Canada » présentée à l’antenne du télédiffuseur UNIS TV au cours de l’automne 2017.

Est-il possible de vivre au Canada en ne consommant que des produits 100 % canadiens ? L’animateur et journaliste Frédéric Choinière va tenter l’expérience pendant un an. – UNIStv
Un constat sévère
Avant de déménager ses pénates à Toronto pour y vivre son année « Ma vie made in Canada » le journaliste a procédé à l’inventaire des articles et biens personnels produits ici qui allaient l’accompagner dans sa nouvelle vie. Constat : un maigre 8,7% de l’ensemble de ses biens pourront être du voyage. Un vieux tandem CCM, des patins de la même marque, un vieux sac de couchage Woods, une couverture de laine, quelques rares vêtements, un vieux meuble stéréo, trois ou quatre articles de cuisine, voilà à peu près tout ce que peut amener notre homme vers la Ville-Reine.
Se loger
Respecter son engagement signifie meubler « canadien » son nouvel appartement. Le journaliste devra donc remiser les électroménagers en place, tous d’origine étrangère et « condamner » le four micro-ondes encastré. Devant l’impossibilité de se procurer quelque électroménager neuf qui soit fabriqué au Canada, il devra se rabattre sur des appareils datant des années 70, « dénichés » dans un bric à brac de vieux électroménagers destinés à la revente sinon à la casse. L’achat d’un matelas ne s’avère par trop compliqué. Heureusement, parce que dormir quelques nuits dans un sac de couchage posé sur le plancher s’est révélé plutôt inconfortable. Difficile cependant de trouver une base de lit, des fauteuils et un mobilier de cuisine « Made in Canada » mais il y parviendra après de multiples recherches et, parfois, en y mettant le prix. Le nouveau milieu de vie de Frédéric Choinière sera, on s’en doute, des plus sobres.
Se nourrir
Manger « canadien » n’est pas trop compliqué si on s’en tient aux produits laitiers, à la viande, aux œufs, aux légumes racines et… aux chips. Même chose pour les fruits et légumes frais… en été. Vive les marchés publics! Pas simple cependant de manger « vert » durant les autres saisons à moins de recourir aux produits cultivés en serre. On pourra alors trouver salades, tomates, asperges, épinards, etc. Mais il faudra débourser plus et se montrer moins exigeant côté papilles. Difficile pour les produits en serre d’être aussi savoureux que leurs équivalents des champs ou du jardin. Les plus exigeants pourront toujours faire de la mise en conserve, ce que fera d’ailleurs Frédéric Choinière. Prix de consolation, boire « à la mode canadienne » ne pose aucune difficulté. Loin de là. Les bières et boissons fortes produites localement sont à la fois populaires, accessibles et très, très appréciées.
Se vêtir
Parti de chez lui en avec une paire de bermudas, un pantalon, quelques t-shirts et une paire de bottes Sorel, le journaliste devra se vêtir pour être en mesure de poursuivre ses activités professionnelles, habillé de circonstance, mais aussi pour affronter des températures plus froides et des climats plus rigoureux. Pas facile de s’habiller « canadien » et encore moins de le faire à bon prix tellement le marché canadien du vêtement est inondé par le prêt-à-porter en provenance des pays d’Asie notamment. C’est que l’industrie canadienne du vêtement a connu une véritable hécatombe. Au cours des trois dernières décennies les emplois dans ce secteur sont passés de 150 000 à 25 000, essentiellement délocalisés dans les pays du Sud. On considère que 10 % de notre garde-robe est aujourd’hui composée de vêtements canadiens. Un taux qui s’élevait à 75 % il n’y pas si longtemps.
Autres nécessités
Évidemment, le défi de Frédéric Choinière allait bien au-delà des besoins de base puisque comme il l’avait déclaré avant de se lancer dans cette aventure « tout ce qui est importé [devait être] hors de [sa] portée ». Pendant 365 jours, le journaliste n’aura ménagé aucun effort pour gagner son pari. Rien ne lui a échappé : moyens de transport, activités culturelles, pratique sportive, produits de ménage et d’entretien, épargne personnelle et investissements. Son pari, il l’aura réussi en grande partie, mais c’est un mur qu’il a frappé quand il s’est agi des moyens de communication. Malgré des efforts soutenus et une recherche intensive, il n’a pu trouver un téléphone, une tablette ou encore un ordinateur personnel « Made in Canada ».
Le bilan
Au terme de son année d’expérimentation, Frédéric Choinière calcule avoir vécu « canadien » à 88,3 %. C’est 10 fois plus que sa consommation de départ. Son expérience l’aura également convaincu de la nécessité d’une meilleure mise en marché des produits faits ici. En commençant par l’obligation d’identifier plus clairement et plus précisément l’origine de produits offerts aux consommateurs. Une responsabilité qui relève de nos gouvernements. On pourrait aussi compter sur la collaboration des commerçants qui, pour encourager l’achat local, pourraient monter des étals spécifiquement dédiés aux produits faits chez nous. De son année « Made in Canada » Frédéric Choinière en conclut que s’il est, à toute fin pratique, impossible de consommer des biens et services exclusivement canadiens, rien n’empêche de faire des efforts en ce sens. Faire ce choix c’est, affirme-t-il, prendre une option pour l’acquisition des biens durables, de grande qualité et habituellement plus verts que ceux provenant des pays à faibles coûts de production. Si la mini-série avait été produite ce printemps, le journaliste aurait pu ajouter qu’acheter les produits d’ici c’est également faire un choix plus sécuritaire.
Quelques faits et définitions:
Aliment produit ou aliment fabriqué au Canada; quelle différence? Aliment produit au Canada : aliment préparé et emballé ici à partir d’ingrédients cultivés en totalité ou presque en totalité au Canada. Aliment fabriqué au Canada : aliment auquel une entreprise canadienne a contribué à une certaine partie de sa fabrication à partir d’ingrédients d’ici ou d’ailleurs. Produit du Canada ou Fait au Canada; quelle différence Produit du Canada : 98 % des coûts de production (matière première et main-d’œuvre) sont engagés au Canada. Fait au Canada : 51 % des coûts de production ou de fabrication ont été engagés au Canada. Dans les deux cas, la dernière transformation substantielle doit avoir été faite au Canada Source : Bureau de la concurrence du Canada Épargner et investir ici à 100 % – Les obligations d’épargne (municipalités, Québec, Canada, etc.) – Les bons du Trésor du gouvernement fédéral – Capital régional Desjardins – Le Fonds de solidarité de la FTQ – Fondaction Valeur des importations de vêtements en provenance du Bangladesh 2005 : 330 millions $ 2015 : 12 milliards $ Qu’est-ce qu’un aliment produit localement? Est local tout aliment produit dans la province où il est vendu ou vendu dans un rayon de 50 km à l’extérieur de la province. Source : Agence canadienne d’inspection des aliments.