
Un texte d’Isabelle Leblanc, intervenante sociale au Calacs Entraid’Action
On n’a qu’à déambuler dans un centre commercial pour se faire bombarder de publicités de produits divers. La publicité sur les produits que nous consommons véhicule des valeurs, des idées et suggère aussi des comportements. Les personnes qui y apparaissent, majoritairement de genre féminin, jeunes et minces, placardent les murs à l’extérieur comme à l’intérieur des boutiques. Ces grandes affiches publicitaires mettent en scène des corps, presque toujours féminins, souvent sexualisés, dont l’objectif premier est la rentabilité de la marque. Ces images sont omniprésentes dans les centres commerciaux, si bien qu’elles ont fini par devenir normales dans notre espace public.
La sexualisation de l’espace public est décrite par le gouvernement du Québec comme un phénomène par lequel les médias donnent un caractère sexuel à un produit ou à un comportement qui n’a rien de sexuel. Il se manifeste dans les magazines, les vidéoclips, les films, l’industrie de la mode et surtout dans la publicité. En effet, pour vendre un produit, la publicité peut banaliser la sexualité, se servir de stéréotypes sexuels et utiliser le corps féminin.
Un enjeu de santé publique
L’utilisation à outrance de ces images, généralement sexualisées et toujours retouchées, dans nos espaces publics, entraîne de nombreuses conséquences physiques et psychologiques, comme des difficultés liées à l’image corporelle. La chercheuse Michaela Bucchianeri et ses collègues ont écrit dans le Journal of Adolescent Health, en 2014, que « la détresse liée à l’image corporelle est un enjeu de santé publique sous-estimé qui entraine de lourdes conséquences sur les plans de la santé physique et psychologique, telles que la dépression et des comportements alimentaires à risque ». [1]
Ainsi, une activité familiale de magasinage devient de manière insidieuse un véhicule d’éducation à l’inégalité entre les genres, à l’objectivation et à l’hypersexualisation des femmes et à la banalisation de la sexualité.
Une culture de l’auto-objectivation
Dans un article intitulé Objectification Theory, les chercheuses américaines Barbara L. Fredrickson et Tomi-Ann Roberts affirment que « les difficultés liées à l’image corporelle émergent à la suite d’une objectification socioculturelle du corps des femmes, lequel est perçu comme un objet qui existe pour être regardé et évalué par les autres plutôt qu’appartenant aux femmes elles-mêmes. Avec le temps, les femmes qui subissent ce type d’objectification sexualisée finissent par prioriser leur apparence externe aux dépens de leur personnalité et d’autres caractéristiques psychologiques. » [2]
Ainsi, les femmes en viennent à s’auto-objectiver, autrement dit à se percevoir elles-mêmes comme des objets. Toujours selon ces chercheuses, il a été démontré que les femmes qui accordent une plus grande importance à leur apparence sont plus sujettes à développer des problématiques liées à leur image corporelle et à leur estime de soi, étant donné qu’il peut être difficile d’atteindre les standards de beauté de la société. Cela peut même contribuer au développement de troubles du comportement alimentaire. [3]
Médiatiser la diversité corporelle pour que les femmes reprennent le pouvoir sur leur image
Face à une industrie publicitaire forte qui véhicule ad vitam æternam les mêmes exhortations, soyez jeunes, soyez minces et perdez du poids, les femmes pourraient facilement se sentir enfermées dans cette représentation et croire qu’elles n’y peuvent rien. Pourtant, comme dans tous les choix que nous faisons comme consommatrices et consommateurs, nous avons un pouvoir d’agir. Sur les réseaux sociaux par exemple, nous avons la possibilité de nous abonner à des pages qui valorisent la diversité des corps au lieu de l’uniformité. Aussi, certaines marques sont plus engagées que d’autres dans cette lutte pour le droit à une image corporelle inclusive et positive. Notre pouvoir d’achat est une arme redoutable, ne l’oublions pas. Enfin, l’éducation et la sensibilisation demeurent des outils essentiels pour se construire. Discutez-en en famille, à l’école, entre collègues !
En ces temps difficiles où les femmes perdent des droits partout dans le monde, il est plus important que jamais qu’elles restent debout et fortes. Soyons actrices et acteurs de changements en permettant à toutes les femmes de se sentir bien dans le corps qu’elles ont partout où elles se trouvent.
Références
[1] Multiple Types of Harassment: Associations With Emotional Well-Being and Unhealthy Behaviors in Adolescents – Journal of Adolescent Health
[2] Objectification Theory: Toward Understanding Women’s Lived Experiences and Mental Health Risks – Barbara L. Fredrickson, Tomi-Ann Roberts, 1997
[3] Objectification Theory: Toward Understanding Women’s Lived Experiences and Mental Health Risks – Barbara L. Fredrickson, Tomi-Ann Roberts, 1997