Jean-Claude Landry – Le communautaire : un tigre dégriffé ? – Février 2021
Dans le réseau de la santé, le vocabulaire change au gré des réformes et des politiques. Il fut un temps où les mots disaient « ce qu’ils voulaient dire ». Vous nécessitiez une chirurgie, vous étiez un patient. Vous consultiez une travailleuse sociale, vous étiez un usager. Vous deviez faire appel à un organisme communautaire, on vous appelait un participant.
Tout cela est maintenant du passé. De patient, d’usager et de participant, vous êtes maintenant devenus des « clients ». Une appellation propre au langage du milieu des affaires dont on s’inspire aujourd’hui pour la gestion et le fonctionnement de nos services publics. La Nouvelle Gestion Publique ou NGP assurerait, affirment ses adeptes, de meilleures performances au niveau des services. À savoir, obtenir le maximum de bénéfices avec le moins de ressources possibles, soient-elles humaines, matérielles ou financières. Et le vocabulaire de gestion traduit bien l’objectif recherché. On parlera de résultats mesurables, de reddition de compte, de populations cibles, d’indicateurs, de standardisation des pratiques, d’analyse de coûts, de rentabilité des actions, et bien sûr, de performance.
Le recours, via des ententes contractuelles ou des ententes de service, à des partenaires en mesure de répondre à des besoins sociaux de façon plus efficiente et plus économique que ne le fait l’État s’inscrit tout à fait dans cette philosophie de gestion. Avec le souhait que ces partenaires empruntent eux aussi, dans leur pratique et leurs actions, les principes inhérents à la Nouvelle Gestion Publique.
Un souhait qui pose un défi particulier aux organismes communautaires bénéficiaires de financement public pour assurer des prestations de services complémentaires aux services publics. Comment un tel modèle qui s’articule sur un mode hiérarchique de décision peut-il être compatible avec l’approche traditionnelle des organismes communautaires autonomes qui se veulent « ancrés » dans la communauté. Des organismes qui, de par leur statut communautaire, se doivent d’être déterminés par les citoyens qui s’y engagent et ceux qu’ils desservent. Et comment concilier un statut de partenaires alors que la mission même des organismes les invite à porter les revendications citoyennes et à s’opposer à des politiques gouvernementales jugées préjudiciables pour les citoyens ?
L’État québécois affirme reconnaître le rôle et la spécificité des milieux communautaires. Une politique formelle a même été adoptée en ce sens. Mais la logique entrepreneuriale qui s’est implantée dans les services publics présente les pratiques qui en découlent comme étant nécessairement supérieures à celles élaborées par les milieux communautaires. Le cadre légal et institutionnel qui entoure les relations gouvernement-organismes communautaires se révèle donc, aux dires des organismes, de plus en plus contraignant. Au point qu’on craint un impact déplorable, non seulement sur leur souplesse d’action et leur capacité d’innovation face aux problématiques nouvelles, mais aussi sur leur vitalité démocratique.
Voilà donc, posés, les termes d’un débat qui ne cesse d’animer les milieux communautaires. D’une part, un État qui, via les mécanismes de financement, tente d’intégrer au réseau des établissements et des services publics et d’autre part, des organismes communautaires qui défendent bec et ongle leur autonomie d’orientation et de pratique.
Étant donné l’importance qu’occupe aujourd’hui le financement étatique dans les budgets de fonctionnement des organismes communautaires, y aurait-il danger que ceux-ci s’institutionnalisent et perdent en quelque sorte leur vitalité sans le soutien financier de l’État ?
L’adoption de la Nouvelle Gestion Publique modifie donc profondément les rapports entre l’État et les milieux communautaires. Le partenariat État-organismes communautaires portera-t-il atteinte à l’originalité et la vitalité de ces dernières ? Parions sur la résilience du milieu communautaire !