« La victoire sera d’autant plus facile que la propagande aura travaillé l’ensemble des hommes sur la plus grande échelle possible… ». Cette phrase est issue du livre tristement célèbre Mein Kampf paru en français en 1934 (Les Nouvelles éditions latines, p. 578). Elle est d’une brûlante actualité. Elle nous fait voir que le programme électoral de Donald Trump, savamment orchestré par Stephen Bannon, l’idéologue de l’extrême droite américaine, était de la propagande d’une redoutable efficacité.
Le pari des stratèges républicains a consisté à conforter les États qui leur étaient acquis et à cibler les États démocrates les plus durement touchés par les ratés du capitalisme mondialisé. Des états peuplés majoritairement de travailleurs déclassés, de gens peu scolarisés, abonnés des téléréalités et laissés-pour-compte. Ils ont lancé à vive allure leur train d’enfer dans l’Ohio, la Floride, la Pennsylvanie et la Virginie occidentale avec à sa tête un candidat populiste aux grimaces mussoliniennes, attisant sur toutes les tribunes la colère, la peur, la détestation de l’autre, ânonnant les mensonges et les contre-vérités tout en faisant de la vulgarité une vertu. Donald Trump a visé une population en désarroi, encline à croire qu’elle avait été trahie par les élites, prête à donner un coup de pied dans la ruche pour calmer son désespoir, sans penser qu’on puisse affronter l’adversité autrement qu’en cassant la baraque. Aidé, en prime, par une adversaire mal-aimée, il a gagné. Voyant nos voisins américains attablés à un buffet aussi indigeste pour les quatre prochaines années, il y aurait lieu de craindre le pire.
Consolons-nous d’abord à la pensée que les égarements de la démocratie sont de loin préférables à la meilleure des dictatures. Ensuite, comme le rappelait Marcel Proust, « là où la vie emmure, l’intelligence perce une issue ». Et c’est bien ce que répétait le dramaturge Robert Lepage, récemment de retour à Montréal, terrifié par l’atmosphère empoisonnée de New York après la victoire de Donald Trump. « Il faut désormais partout dans le monde défendre la démocratie en valorisant l’intelligence », disait-il (Le Devoir, 15 novembre 2016). Et il ajoutait qu’il faut plus que jamais opposer à la médiocrité et à l’ignorance les idées, la profondeur, la densité, le doute, en se souvenant, en posant des questions, en alignant les connaissances.
C’est bien là la meilleure voie à suivre. Et c’est encore une fois ce que nous apprend l’histoire, qui nous rappelle que les moments les plus glorieux du passé, ici au Québec et ailleurs dans le monde, ont été ceux où les artistes, les intellectuels et les scientifiques ont cheminé de concert avec les forces vives de la société. Pour mémoire, on se souviendra que les Nelson Mandela, John Kennedy, François Mitterrand, Jean Lesage ou René Lévesque de ce monde – et autres figures emblématiques des avancées politiques de la modernité – étaient eux-mêmes férus de culture et pénétrés de la conviction que le salut de l’humanité était impensable sans le concours de la science, des arts et des lettres. Qu’on ne se méprenne pas ici. Il ne s’agit pas d’embrigader les artistes. Il importe plutôt de les replacer au cœur de notre destin national. Il s’agit de fréquenter leurs œuvres de plus en plus et sans cesse avec la certitude qu’elles recèlent la solution au désordre ambiant. C’est en mettant la culture à l’avant-plan que nous trouverons la voie nous permettant de coaliser enfin tous les courants humanistes et progressistes de la planète, et ce, en commençant ici au Québec.