Luc Drapeau, janvier 2018 Après avoir festoyé un brin et relâché quelque peu les cordons de nos bourses, nous retournons tranquillement à nos occupations quotidiennes avec des résolutions qui, à défaut de changer le monde, nous permettent d’espérer en toute bonne foi. En matière de culture, nous étions curieux de sonder le directeur général de Culture Mauricie, Éric Lord, sur l’état des lieux, sur ses objectifs et sur ses attentes en cette année électorale.
Commercialisation des produits culturels d’ici
Si les grandes applications comme Netflix, Spotify, Amazon et autres débits automatiques de culture se tenant à un clic de votre portefeuille virtuel (téléphone intelligent, tablette, etc.) s’immiscent librement dans vos habitudes de consommation, il en va autrement pour l’ensemble des artistes et organismes culturels, qui s’essoufflent rapidement faute de visibilité et de moyens dans ce marché à haute vitesse. « Tous les intermédiaires, qui, normalement, accompagnaient le milieu culturel, sont en train de s’effondrer ou ont moins d’effet, moins de capacité d’action qu’auparavant. L’artiste reste isolé et il doit devenir promoteur de son œuvre. Or, dans l’univers numérique, ses œuvres se retrouvent en compétition avec des milliards de propositions artistiques », précise Éric Lord. Il est impératif, selon ce dernier, de mettre en place des conditions favorables pour diffuser et valoriser ce qui se fait ici, car « si tu ne connais pas les artistes de ton territoire, jamais tu ne vas pouvoir consommer leurs œuvres ». En Mauricie, Éric Lord nous parle des nombreux artistes de qualité qui ont choisi de s’y installer. Le graveur Guy Langevin et les Sages fous rayonnent notamment à l’international. S’il ne fait pas de doute que nous devons mettre à jour le lien entre la création faite ici et le public, il est clair pour notre interlocuteur que nous devons aussi questionner la couverture culturelle dans nos médias qui ne cesse de diminuer.
La philanthropie : oui, mais à condition…
La philanthropie se révèle le second enjeu qui préoccupe Éric Lord. « Dans la santé et l’éducation, la philanthropie est faite par des équipes structurées avec des outils et des résultats en conséquence », admet-il. Plus courante dans la culture anglophone, où les plus fortunés participent à la vie de leurs institutions culturelles, la philanthropie demeure marginale au Québec. Le récent don de 100 000 $ fait par Guy Deveault, président de Canadel, au conservatoire de musique de Trois-Rivières est un exemple philanthropique qui aidera assurément l’institution à remplir sa mission. Le milieu culturel ne peut pas se passer de ce financement. Il en va de la pérennité des institutions, de la qualité et de la rigueur de leurs enseignements. Ces types de dons permettent déjà au conservatoire de musique de porter des programmes éducatifs tels que Boum (dévoilé en automne), qui a pour visée la persévérance scolaire, l’estime de soi et un plus grand sentiment d’appartenance à la communauté, avec différents intervenants de la région. Ceci dit, il faut se montrer vigilant, car la philanthropie peut représenter un couteau à deux tranchants. « Quand les dons s’ajoutent aux revenus dont disposent les orchestres symphoniques, musées et autres organismes culturels, c’est merveilleux. Mais si cela confirme la tendance de l’État à se retirer de la culture, cela se traduit par un recul », déplore Éric Lord. À preuve, il explique que l’augmentation du dernier budget du ministère de la Culture ne comblait pas l’augmentation des coûts de système et le coût des emprunts pour les infrastructures. Cela signifie que le soutien au milieu a stagné ou a régressé.
Pour éviter d’« avancer en arrière »
De l’avis d’Éric Lord, l’élaboration d’une nouvelle politique culturelle — la dernière datant de 1992 —, qui serait accompagnée de fonds conséquents pour sa mise en œuvre, constituerait un bon point de départ. « Depuis cinq ans, en Mauricie, la contribution de la culture au PIB a augmenté de 20 %. On est un secteur en pleine croissance et un élément important de la diversification économique de la région. On aimerait que ce soit reconnu par nos autorités publiques. Pourtant, la culture ne semble pas avoir été la cible de réinvestissements. » Le secteur culturel semble être le parent pauvre du gouvernement depuis fort longtemps : « Bizarrement, on dirait qu’on est en dehors de l’économie. Lorsqu’on observe tous les autres secteurs, il y a tout le temps au moins une indexation au coût de la vie. Dans notre secteur, cette règle fondamentale de l’économie ne s’applique pas. On est des gens engagés. Il y a aussi des gens engagés dans d’autres secteurs, mais ils ont un salaire en conséquence habituellement. Il y a un rééquilibrage à faire en ce qui a trait aux revenus et aux conditions des artistes et travailleurs culturels. », souligne Éric Lord.
Et pour la suite des choses ?
Éric Lord attend d’une nouvelle politique culturelle qu’elle reconnaisse davantage, d’une part, le rôle entrepreneurial des artistes et, d’autre part, l’apport des régions en les soutenant plus adéquatement. « Le budget de la SODEC est grosso modo dépensé à 85 % à Montréal, ce qui laisse des grenailles pour le reste du Québec. Est-ce que c’est ça que nous voulons comme société ? Moi, je souhaite qu’on ait un milieu stimulant et dynamique partout au Québec, que toutes les régions du Québec puissent garder leurs créateurs et animer leur milieu », conclut-il.
Résolutions pour 2018
1- Plus d’achat local auprès de nos cultivateurs, maraîchers et autres. Et, au même titre, plus d’achat local auprès de nos artistes locaux. Prendre le temps de regarder les étiquettes et de sonder les potentialités de notre région pour être plus à même de faire des achats plus conscients de ce marché local qui se développe à deux pas de chez nous. Peut-être avons-nous même entendu le prochain Jimmy Hendrix Mauricien faire retentir ses premiers accords dans le garage du voisin ? 2- Plus d’initiatives citoyennes ! Chapeau bas aux trois professeurs de littérature, Olivier Gamelin, Félix-Antoine Désilets-Rousseau et Louis-Serge Gill, notre collègue au journal, qui ont donné vie au mouvement « redonner les 278$ du cadeau préélectoral ». Qui pense encore que les littéraires ne sont pas des êtres d’action ? 3- Plus de civisme, plus de conscientisation ! Avec les mouvements du genre Moi aussi, les hommes ont eu encore une fois mauvaise presse cette année. Peut-être, pour 2018, serait-il temps d’y aller d’un plus grand effort de conscientisation, chers hommes. Plus de civisme serait le bienvenu, car je continue, pour ma part, de trouver intolérable que le savoir-vivre de l’ensemble des hommes dans la population soit entaché par les quelques imbéciles qui empoisonnent le verre des femmes ou qui ont à dessein de les agresser. Entre hommes, soyons solidaires non pas pour couvrir nos écarts de comportement, mais pour, justement, rehausser notre image et donner plus de valeur encore au rôle primordial que nous assumons dans la société : ami, amoureux, frère, père. 4- Plus d’affection et plus de considération ! Si l’adage « il faut un village pour élever un enfant » est vrai, peut-être faudrait-il étendre celui-ci à « c’est aussi tout un village qui perd un enfant quand l’un d’eux se suicide. » Si je trouve les propos d’Alexandre Taillefer fort justes dans le documentaire sur son fils Bye, je ne peux m’empêcher de penser au-delà de tous ces arguments que le temps manque à tous pour réaliser un mieux-vivre en société. La cyberdépendance, comme toutes autres dépendances, remplace temporairement un vide qui demeure. J’ai personnellement eu à lire quelques lettres de suicide au cours de ma vie. Je dis souvent n’avoir pas beaucoup de mémoire, mais ces lettres je pourrais vous les réciter intégralement, ce que je ne ferai pas ici, évidemment. Ce que je peux vous dire par contre, c’est que de toutes ces personnes, aucune ne regrettait de laisser derrière elle une ou l’autre de ces dépendances. Alors, de grâce, avant de tenter quelque chose, dérangez-nous, parent, ami, professionnel et autres! Il n’y a aucun horaire ni aucune tâche qui tienne. … La désaffection politique est aussi une variante de ce vide, à mon avis, à l’échelle d’une société. Peut-être faudrait-il regarder le développement de notre société à plus long terme et non pas toujours chercher à mettre un pansement (ou des mesures temporaires) là où ça fait mal. Émile Durkheim affirmait d’ailleurs dans son essai Le suicide que : « L’incapacité des règles sociales à limiter les désirs individuels engendre une déception croissante et le sentiment d’aliénation et d’irrésolution ». Sur ces résolutions, je vous souhaite une bonne année 2018 !