Dans la nuit du 25 septembre 1868, la petite maison d’Elzéar Guillemette, à Saint-Christophe-d’Arthabaska, est la proie des flammes. Les corps calcinés de sa femme, de ses deux enfants et de leur chien sont retrouvés sous les débris et les cendres. Guillemette est le seul survivant. Il devient le principal suspect de ce drame. Les autorités lancent donc un mandat d’arrestation contre lui. Il est arrêté et doit subir un procès pour le meurtre de sa famille en 1869. Lors de ce procès, il est reconnu coupable de meurtre et condamné à mort par pendaison. Toutefois, selon ses avocats, plusieurs éléments de l’affaire ne semblent pas concorder. Ils en appellent donc du verdict, ce qui mène à un nouveau procès en février 1870.
À lire : L’affaire Guillemette de 1868
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Février 1870, le second procès débute devant jury. Les avocats de Guillemette remettent en cause le témoignage des deux jeunes garçons de 10 et 13 ans qui auraient surpris, le soir du 24 septembre 1868, une « exclamation équivoque de la part de Guillemette ». Leur témoignage est le plus accablant pour l’accusé. En effet, d’après l’un des garçons, « Guillemette aurait crié à sa femme que l’un d’eux devait périr ». Selon l’autre, l’accusé n’avait parlé que de prendre le bois. [1] Ainsi, les deux garçons ne s’entendent pas sur le « texte même de la menace » [2] et les avocats voient une contradiction entre ces deux témoignages. Malgré cette divergence et le jeune âge des garçons, le jury déclare une seconde fois Elzéar Guillemette coupable.
En dépit de ce nouveau verdict de culpabilité, les avocats demandent un recours en grâce au ministre de la Justice. Ce recours permettrait une commutation de la peine infligée à l’accusé. Le juge Polette « fit lui-même rapport au ministre de la Justice que la culpabilité de Guillemette était loin d’être [prononcée] par les quelques témoignages qui étaient de nature à l’incriminer [et] qu’ils lui inspiraient que peu de confiance ». [3]
Les avocats soutiennent toujours la thèse de l’incendie accidentel. À leur avis, les victimes seraient mortes d’asphyxie avant même l’incendie. Ce serait le « gaz se dégageant du poêle qui les aurait tuées et non pas les flammes ». [4] Si cela s’avérait exact, Guillemette pourrait être acquitté.
Comment en arrivent-ils à cette conclusion ?
Le verdict de culpabilité des deux procès repose essentiellement sur les témoignages des deux garçons et des voisins ainsi que sur des « racontars » de Marie Leblanc, la bonne de la famille. Dans ces conditions, il y a peu de preuves qui permettent de prouver que Guillemette aurait bel et bien déclenché volontairement l’incendie. Par conséquent, les avocats font appel à des experts [5] afin de mettre en lumière les circonstances du drame. Les experts concluent que la famille ainsi que le chien auraient été asphyxiés par du gaz carbonique « provenant peut-être de l’incendie allumé dans la toiture, mais probablement du poêle surchauffé […] ». [6]
Au vu de ces conclusions, les avocats de l’accusé s’interrogent : « Comment expliquer que le chien n’ait pas pu s’échapper quand Elzéar Guillemette sortit de la maison pour appeler au secours ? » Ils poursuivent : « Un chien ne se laisse pas ainsi exterminer par les flammes quand la porte est ouverte devant lui. » [7] Le chien serait-il la preuve ultime qui innocenterait Guillemette ?
Selon les hommes de loi, le chien aurait dû sortir en même temps qu’Elzéar. Le juge Polette conclut dans son rapport « que les témoignages et les preuves sont peu convaincants ». [8] Il appuie donc le recours en grâce de Guillemette transmis au ministre de la Justice. Elzéar Guillemette évite la pendaison et il est rapidement gracié. Guillemette recouvre ainsi sa liberté grâce à un décret du gouvernement.
La couverture journalistique de l’affaire
L’affaire Guillemette s’est retrouvée dans plusieurs journaux de l’époque et s’est répandue au-delà de Saint-Christophe-d’Arthabaska. [9] Même les journaux anglophones s’y mettent, comme le Morning Chronicle and commercial and shipping Gazette et The Quebec Gazette. [10]
À partir de 1869, la presse canadienne-française oriente de plus en plus ses articles suivant l’actualité et les nouvelles. C’est ce qu’on appelle la presse populaire ou d’information dont les publications générales rapportent des événements, car on estime qu’en « visant le plus gros tirage possible […], l’augmentation des tirages fait gagner la presse en étendue et accroît la liberté d’information ». [11] L’information « sera donc axé[e] sur ce qui fait l’événement, peu importe qu’il s’agisse d’une question politique, d’un fait divers […], la variété de ses nouvelles et de ses chroniques s’alimentera aux sources locales, nationales et européennes ». [12] L’affaire Guillemette s’inscrit parfaitement dans cette tendance. Près de 100 ans plus tard, elle est considérée comme une erreur judiciaire et une « énigme criminelle ». [13]