Le 25 septembre 1868 vers trois heures du matin, des cris provenant de l’extérieur d’une petite maison en rondins située à Arthasbaskaville alertent des voisins. Un incendie fait rage et détruit la totalité de la demeure de la famille d’Elzéar Guillemette. Le lendemain de l’incendie, le coroner et médecin du district d’Arthabaska, Urgel Médric Poisson, se rend sur place pour effectuer son enquête. Il y découvre « trois cadavres sur le sol de la maison incendiée » : ceux d’Henriette Gendreau, l’épouse de Guillemette, et de leurs deux enfants ainsi que le corps calciné de leur chien. Seul le père de famille, Elzéar Guillemette, a survécu au sinistre.

Elzéar Guillemette est un agriculteur né vers 1830 dans la paroisse de Berthier-en-Bas, aujourd’hui Berthier-sur-Mer. Le 26 septembre 1860, à l’âge de 30 ans, il se marie à Norbertville avec Henriette Gendreau, 21 ans, de la paroisse de Montmagny. Le couple s’installe sur une petite terre agricole à Arthabaskaville où ils auront deux enfants, Joseph Napoléon né vers 1864 et Marie Artémise, née en 1867. Ils sont une famille typique de cette époque.

Que s’est-il passé durant cette fatidique nuit du 25 septembre 1868 ?

Selon le témoignage d’Elzéar Guillemette, la famille se serait couchée la veille vers 20 heures. Quelques heures plus tard, madame Guillemette réveille son époux le « priant de raviver le feu dans le poêle, car elle avait froid ». Elzéar s’exécute sans protester. Il sort couper du bois pour ensuite remplir le poêle qui est situé au centre de la petite maison. Celle-ci faisait 18 pieds sur 20 pieds.

Toutefois, Elzéar ne retourne pas se coucher dans le lit conjugal, il décide de s’étendre sur le plancher près du poêle. Il se réveille au milieu de la nuit et constate que la maison est emplie d’une épaisse fumée. Un incendie s’était déclenché durant son sommeil.

Toujours suivant son témoignage, « il cria à sa femme de sortir avec les enfants, tandis qu’il s’élançait lui-même au dehors pour appeler au secours. Il courut de tous côtés, criant le plus fort possible. On l’entendit, on accourut ». Lorsque les voisins arrivèrent, il était malheureusement trop tard pour sa femme, ses deux enfants et son chien. L’hypothèse est que madame Guillemette n’aurait pas entendu « les premières recommandations de son mari, soit qu’elle manqua de célérité, ni elle ni les enfants ne réussirent à s’échapper ». L’enquête du coroner Poisson conclut que l’incendie est accidentel. Aucune faute n’est donc portée à l’endroit d’Elzéar Guillemette.

Cependant, l’histoire n’en reste pas là ! Après la tragédie, Elzéar loge quelques semaines chez son frère David, vivant à trois arpents de la maisonnée des Guillemette. Pendant son séjour, son beau-frère Georges Gendreau (frère d’Henriette Gendreau) lui rend visite et lui révèle que Narcisse Leblanc, le père de la bonne de la famille Guillemette, a fait une déposition pour meurtre contre lui et qu’il serait arrêté sous peu. Gendreau lui conseille alors de fuir, mais Guillemette refuse et proclame son innocence.

D’après le témoignage de David Guillemette, Gendreau aurait dit à Elzéar : « If you are taken, you will stand a trial, and that is a disagreeable thing. If you go away your trial will take place, and if you are found guilty you will be out of the way, and if you are not, you will come back. » Il semble que David et Georges auraient forcé Elzéar Guillemette à s’enfuir.

Donc, la nuit venue, Elzéar part vers les États-Unis. Il reste quelques jours à Island Pond, au Vermont, avant de revenir à Berthier-en-Bas, chez son père, où il sera finalement arrêté pour le meurtre de sa femme et de ses deux enfants par le haut constable Raphael Richard. Mais quel est le mobile de ce meurtre si triste et cruel  ?

Dès les jours suivant le tragique incendie, plusieurs commérages circulent dans le petit village. Certaines personnes de la localité et du voisinage allèguent que Guillemette aurait volontairement déclenché l’incendie pour tuer sa famille. D’après ces on-dit, il s’agirait d’une histoire d’amour entre Elzéar Guillemette et Marie Leblanc, la bonne de la famille, âgée de 17 ans au moment des faits. Est-ce la vérité ?

Finalement, le procès pour meurtre d’Elzéar Guillemette débute le 23 février 1869, soit cinq mois après l’incendie. Est-ce que l’honorable juge Antoine Polette (1807-1887) et le jury vont abonder dans le sens de la thèse du meurtre prémédité ou de la thèse de l’incendie accidentel ?

À suivre  !

L’absence de services d’incendies organisés étant monnaie courante en milieu rural, leur intervention aurait-elle pu sauver la famille d’Elzéar Guillemette à l’époque ? Photo : Dominic Bérubé

 

Bibliographie
ANONYME. « Assise d’Arthabaska : Procès d’Elzéar Guillemette pour meurtre de sa femme et de ses deux enfants », Journal des Trois-Rivières, no 52, vol. 4, 5 mars 1869, p. 3.
ANONYME. « Condamné à mort, il échappe au bourreau », Photo journal, no 2, vol. XIX, 30 avril 1955, p. 2.
COMMISSION DE TOPONYMIE DU QUÉBEC. « Berthier-sur-Mer », [En ligne], https://toponymie.gouv.qc.ca/ct/ToposWeb/Fiche.aspx?no_seq=381986 (page consultée le 4 août 2024).
COURT OF QUEEN’S BENCH, « Report of the proceedings and evidence at the trial of Elzear Guillemette for murder: at the term of the Court of Queen’ s Bench (Criminal Side) held for the said district in February, 1870 », [En ligne] https://www.canadiana.ca/view/oocihm.06659/10 (page consultée le 12 août 2024).
HARDY, René, SÉGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p.

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