C’est devenu une tradition. Chaque année, pour son numéro de la rentrée, La Gazette de la Mauricie dresse certains constats sur le système scolaire public du Québec.
Cette tradition découle de la volonté de La Gazette de contribuer à la construction d’une société plus juste, plus solidaire et plus participative. Or, l’éducation gratuite et accessible à toutes et à tous est le fondement d’une telle société.
Cette année, le comité de rédaction du journal a choisi de laisser la parole aux enseignantes et enseignants plutôt que de faire appel à des spécialistes externes ou que de consulter des rapports de recherche. Après tout, ils sont les premiers à vivre les effets des changements dans les écoles de la province.
Les enseignantes et enseignants cités ci-dessous ont gracieusement accepté de se prononcer publiquement sur certains enjeux et débats actuels relatifs au système scolaire québécois telles la réorientation de la formation des maîtres, l’intégration des nouvelles technologies dans les classes, l’égalité des chances, les méthodes alternatives d’enseignement, l’approche par compétences, le décrochage scolaire, les devoirs ou la multiplication des écoles à vocation particulière. Voici les points de vue exprimés au sujet de l’instauration d’un ordre professionnel des enseignants.
QUESTION
L’aile jeunesse du Parti libéral du Québec a récemment proposé de mettre sur pied un ordre professionnel pour les enseignantes et enseignants. Que pensez-vous de cette proposition ?
RÉPONSES
« À quel besoin veut-on répondre ? Je ne vois pas ce que cela apporterait de plus. On ne devient pas meilleur professeur parce qu’on fait partie d’un ordre professionnel. »
– Mireille Doucet Landry
« Un ordre professionnel a pour but la protection du public, rien d’autre. Il est prouvé, depuis le début des années 2000, que la profession enseignante est encadrée de multiples façons (Loi sur l’instruction publique, régime pédagogique, etc.). De plus, les enseignants ne travaillent plus de manière individuelle chacun dans leur classe. Le co-enseignement, les rencontres cycles, le travail d’équipe entre enseignants du même niveau ou de la même matière, les classes dans lesquelles se trouvent plusieurs adultes au même moment sont “monnaie courante” dans les écoles d’aujourd’hui. Ces nouvelles façons d’enseigner amènent les enseignants à discuter et à réfléchir sur leurs pratiques au quotidien.
Je ne crois pas que la création d’un ordre professionnel valorisera davantage la profession enseignante, comme le disent les jeunes libéraux. Ce n’est pas en faisant partie d’un ordre professionnel que nous aurons le sentiment que nos supérieurs immédiats ou les parents de nos élèves ont davantage confiance en notre jugement ou qu’ils nous laisseront plus d’autonomie dans notre travail au quotidien.
La valorisation de notre profession passe par la confiance que nos patrons nous accordent dans notre jugement, nos interventions et nos choix de stratégies d’enseignement. Enfin, il serait temps que les enseignants eux-mêmes soient fiers du travail qu’ils accomplissent chaque jour dans leur classe, dans leur école, dans la société ! »
– Marie-Ève Auger
« Il faut ne pas connaître la profession enseignante pour proposer des idées de la sorte. Un ordre professionnel enseignant n’apporterait probablement pas grand-chose. Nous faisons déjà de la formation continue et nous travaillons en collégialité entre enseignants. Nous mettons beaucoup d’efforts à la valorisation de notre métier et ils commencent à porter fruit, on sent plus de soutien de la population, et quand on parle publiquement du métier d’enseignant, c’est de plus en plus souvent pour nous reconnaître et nous appuyer.
Il faut aussi arrêter de croire que l’enseignement est truffé d’incompétents protégés par des syndicats et que l’ordre éliminerait tous les mauvais enseignants pour ne garder que les compétents. Les enseignants qui n’exercent pas bien leur métier sont encadrés, soutenus, et s’ils commettent des fautes graves, ils sont réprimandés. L’ordre des enseignants ne sera pas un outil magique pour régler des problèmes là où il n’y en a pas. »
– Mathieu Tremblay
« En éducation, le public est très bien protégé par la Loi sur l’instruction publique et par le régime pédagogique. Ces publications gouvernementales encadrent de façon très rigoureuse notre travail d’enseignant, tout en accordant de l’importance à notre autonomie professionnelle, par exemple dans le choix de notre formation continue ou de notre perfectionnement. De plus, depuis 2010, les commissions scolaires doivent offrir les services d’un protecteur de l’élève. Les enseignantes et les enseignants, par l’entremise de leur syndicat, défendent à la fois leurs conditions de travail et la qualité de l’éducation de l’école publique québécoise. Nous n’avons aucunement besoin d’un ordre professionnel ! »
– Nathalie Sirois
« Le Collège des médecins assure-t-il vraiment une meilleure protection de la population ?
La population se sent-elle ainsi mieux protégée ?
Quelle fierté les infirmières tirent-elles de leur ordre ? Donnez-leur demain matin le choix de le quitter, vous aurez rapidement la réponse… Et la population sera-t-elle ainsi moins bien protégée ? »
– Jean-Yves Proulx
« NON. Nous avons une certification universitaire, ensuite notre Commission scolaire nous fait passer des évaluations de français, nous devons absolument n’avoir aucun antécédent judiciaire, nous devons respecter un code d’éthique très strict, nous sommes évalués en « supervision pédagogique » à toutes les années par nos directions. L’ordre professionnel ne serait qu’une excuse de plus pour tenter de nous surveiller, de démolir notre autonomie professionnelle. Si jamais un ordre était mis en place, faudrait-il prendre des assurances responsabilités comme les médecins? Si l’État nous certifie en nous donnant un brevet d’enseignement, c’est qu’il accepte et admet que nous sommes des professionnels. POINT. Et, à partir de là, nos conventions collectives prévoient des sommes d’argent disponibles pour le perfectionnement… si nous le souhaitons, si nous en avons le temps! »
– Marylène Gélinas