Réal Boisvert, décembre 2019
Il y a lieu de revenir sur l’épisode relatif aux conditions d’accès des étudiants internationaux au Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Le projet de révision de ce programme est donc allé à la trappe; le Gouvernement a fait volte-face. Cela était devenu inéluctable, François Legault et son ministre de l’Immigration ayant réussi à faire une rare unanimité contre eux.
Les trois partis d’opposition à l’Assemblée nationale, les recteurs, les directeurs de CEGEP, tous les gens du commerce, du patronat, des entreprises sans compter les éditorialistes et chroniqueurs de tous horizons, tous et toutes se sont demandé pourquoi déboîtait-on quelque chose qui fonctionnait bien. Pourquoi, ont dit plusieurs, le ministre de l’Immigration tire-t-il le tapis sous les pieds de milliers d’étudiants et d’étudiantes au motif que, pour plusieurs, leur discipline ne répond supposément pas aux besoins du marché du travail? Enfin… pourquoi se priverait-on de ressortissants s’exprimant pour la plupart en français, ayant une scolarité supérieure à la moyenne et démontrant un attachement sincère pour le Québec?
Pour le dire simplement, pourquoi cette réforme était-elle vouée à l’échec? Par amateurisme a-t-on entendu sur plusieurs tribunes. Certes, elle était improvisée. Mais eut-elle été mieux préparée que le résultat aurait sans doute été semblable, l’esprit derrière elle étant le même. En effet, la propension du gouvernement actuel à s’en tenir très souvent au strict point de vue comptable pour concevoir ses politiques ne peut faire autrement que nous conduire à des impasses.
Comment peut-on croire de fait que la conduite des affaires de la cité puisse se passer de la philosophie? Comme si la pensée réfléchie et le maniement des choses de l’esprit ne devaient pas inspirer et accompagner en tout temps les projets d’utilité publique, le monde du commerce et celui des entreprises. Le recours à la dialectique par exemple pour soutenir un raisonnement ne vaut-il pas tout autant que l’utilisation d’affirmation comptable dont les prémisses sont incertaines? Comment envisager la société de demain sans s’arrêter à la notion de durée? La démographie, la sociologie et l’anthropologie ne sont-elles pas indispensables à la compréhension des plus brûlantes questions de ce temps comme l’urgence climatique, la montée croissante des inégalités ou les mouvements migratoires? Comment se passer des disciplines comme la sémiologie, la linguistique, l’étymologie ou à l’épistémologie pour saisir la portée et les limites du langage? Qu’est-ce que le réel? Le néant est-il un trou avec du vide autour? Comment comprendre, comme le dit la physique quantique, qu’une même particule puisse être à deux endroits différents en même temps si on ne réfléchit pas à ce que parler veut dire? Et on ne dit rien sur la littérature en général ou la poésie en particulier. C’est à pleurer quand on se surprend à penser à quel point les choses seraient différentes s’il y avait plus de Gérald Godin à l’Assemblée nationale.
Ce dont le marché du travail a besoin et ce qui est nécessaire pour le développement du Québec, ce n’est pas moins, mais davantage de philosophes, de sociologues, d’historiens et de lettrés. Merci à vous, étudiants et étudiantes internationaux, d’être ici et de vouloir le rester. Joyeux Noël parmi nous !