Alex Dorval – Juillet 2020
Instagram (IG) se révèle être une tribune de choix pour un nombre grandissant de cyberactivistes. Avec plus d’un milliard d’abonné.es – plus de 10 % de la population terrestre – IG semble être au Black Lives Matter et aux dénonciations d’agressions à caractère sexuel ce que Twitter et Facebook auront été au Printemps arabe, à Occupy Wall Street, ou plus près de chez nous, au Printemps Érable. La politisation de IG s’inscrit « dans la lignée de ces autres événements qui nous ont fait découvrir le pouvoir des médias sociaux » mentionne Mireille Lalancette, professeure et chercheuse en communication à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
« Je ne suis pas étonnée qu’on se serve de cette plateforme-là », souligne la chercheuse référant au Black Lives Matter et à la vague de dénonciations d’agressions à caractère sexuel qui déferle sur lG. Mme Lalancette s’intéresse depuis la grève étudiante de 2012 au rôle des médias sociaux dans le contexte de mouvements de défense des droits civiques.
Du militantisme de salon ?
Doit-on voir dans le cyberactivisme une forme de militantisme lâche permettant de se donner bonne conscience par un simple clic, ou devons-nous plutôt y voir une forme d’extension de la rue et des autres voies et lieux de contestation ?
Pour le journaliste du New York Times, Malcolm Gladwell, les adeptes du cyberactivisme et les médias sociaux s’approprient une trop grande part de mérite par rapport au pouvoir de leurs actions et de ces réseaux informatiques. Il y aurait, dit-il, une déviation fondamentale des rapports qui unissent les activistes à leur cause. « Là où les militants étaient autrefois définis par leurs causes, ils sont désormais définis par leurs outils », note Gladwell.
Pour Mireille Lalancette, l’outil communicationnel que représente IG est plutôt « un tremplin vers la conscientisation de la population » et une façon légitime et sans frais de « faire entendre sa voix ». « Greta Thunberg, donne-t-elle en exemple, a pu amener tout ce monde dans la rue parce qu’elle est capable de prendre appui sur le pouvoir des médias sociaux. IG s’inscrit dans le continuum de la rue et des autres voies plus conventionnelles d’activisme. »
« Questionner notre égo »
« IG est avant tout commercial et esthétique, donc de partager du contenu politisé ça nous permet de réfléchir sur nos comportements et les enjeux qui nous entourent », souligne Marjolaine Tremblay-Paradis, une cyberactiviste de Trois-Rivières.
Âgée de 21 ans, Mme Tremblay-Paradis était « déjà politisée » avant d’avoir été exposée à IG, mais elle admet que le réseau a pu contribuer à sa politisation. Les actions militantes de la Trifluvienne ne se limitent pas au Web. Elle est engagée dans la lutte environnementaliste, écrit des lettres à des ministres, est active dans la vie associative universitaire et organise des marches pour plusieurs causes qui lui tiennent à cœur. Elle est également co-instigatrice du Collectif M dont la mission est de « promouvoir et cultiver l’échange sur des enjeux actuels par la création d’art engagé et écologique ».
Mme Tremblay-Paradis est d’avis que la politisation du contenu Instagram est un bienfait et contribue à la politisation de ses usagers et usagères. « Ça peut amener à questionner notre égo, nos manières d’agir socialement et même la façon qu’on aborde ce réseau », croit-elle.
« Le médium est le message »
La militante est d’avis que la communauté IG s’indigne et traite davantage d’enjeux universels que d’enjeux spécifiquement locaux, non pas par désintérêt envers ces derniers, mais plutôt parce que les gens abonné.es au compte d’un.e cyberactiviste ne sont pas nécessairement des concitoyen.nes. Ce qui est non sans rappeler l’expression bien connue dans le domaine des communications : « Le médium est le message » – Marshall McLuhan, théoricien canadien des communications (1911-1980)
Les codes et fonctionnalités de Instagram
Techniquement, la cyberactiviste va se servir des fonctionnalités, codes visuels et caractéristiques propres à IG pour inciter les abonné.es de son compte à s’informer sur des causes qui méritent selon elle une plus grande attention. Par exemple, elle peut repartager la publication d’un organisme de lutte pour la justice raciale sur son propre compte en y ajoutant un lien de redirection puis en y inscrivant un message personnel appelant à l’action et à la prise de conscience.
Le contexte de la pandémie de COVID-19 peut aussi avoir contribué à diversifier les usages que font les abonné.es de IG; la plateforme ayant mise en place une série de nouvelles fonctionnalités adaptées à la crise sanitaire. En supprimant, par exemple, les comptes faisant de la désinformation en lien avec la COVID-19 et en relayant massivement le contenu des autorités sanitaires mondialement reconnues, IG ouvrait en quelque sorte la porte à du contenu d’affaires publiques, amenant au passage ses utilisateurs.trices à faire un usage plus politique de la plateforme.
Sources :
https://www.vox.com/recode/2020/6/24/21300631/instagram-black-lives-matter-politics-blackout-tuesday
https://www.newyorker.com/magazine/2010/10/04/small-change-malcolm-gladwell
https://blog.hootsuite.com/instagram-demographics/
https://www.youtube.com/watch?v=ImaH51F4HBw
Lectures complémentaires :
https://www.ababord.org/Militantismes-et-engagement