Jacques Goldstyn, alias Boris, est le caricaturiste de divers journaux québécois et celui de La Gazette depuis une douzaine d’années. Il travaille également pour le magazine Les Débrouillards, ce qui fait en sorte que les jeunes comme moi le connaissent bien et l’apprécient ! Quelle chance de pouvoir faire une entrevue avec lui ! Une entrevue qui se passe parfois au « vous » tellement je suis impressionnée et des fois au « tu » parce que Boris est vraiment sympathique !
Jacques, pourquoi signez-vous « Boris » au lieu de votre vrai nom ?
– Quand je dessine pour Les Débrouillards ou quand j’écris des contes pour les enfants, je signe avec mon nom, Jacques Golsdtyn, mais quand je fais des caricatures politiques, je signe Boris. Mon père me disait : « Si tu fais de la caricature politique, ça serait peut-être une bonne idée d’avoir un nom de plume parce que s’il y a des gens qui ne sont pas contents et qu’ils veulent casser tes vitres, ils vont avoir de la misère à trouver ton nom dans l’annulaire de téléphone. » J’ai donc cherché un nom. Un de mes amis s’appelle Michel Garnot et signe ses caricatures « Garnotte ». Je trouvais ça original. Je connaissais un caricaturiste russe très talentueux qui s’appelait Boris Efimov. Il faisait, il y a longtemps, des caricatures contre les Allemands, contre Hitler et aussi à propos de ce qui se passait en Russie. Mais, il avait toujours peur que ça déplaise à Staline. Chaque fois que le téléphone sonnait, il se disait : « Ça y est, il va m’envoyer en prison. » Finalement, Staline aimait bien ses dessins et Boris a vécu jusqu’à 101 ans. J’aimais bien ce caricaturiste, donc j’ai pris son nom. Mais aujourd’hui, même si je signe Boris, les gens qui veulent me rejoindre arrivent toujours à trouver mon vrai nom sur Internet.
Pourquoi avez-vous décidé de travailler avec Les Débrouillards ?
– J’ai toujours aimé dessiner. Quand j’étais à l’université ou quand j’étais comme toi, au secondaire, dans les journaux étudiants, je dessinais. Mais je me disais aussi : « Non, je veux être sérieux dans la vie, je vais être un géologue, je vais faire un métier scientifique, je vais être sérieux. » Et puis, j’ai exercé mon métier de géologue pendant un certain temps, mais il y a un de mes amis qui travaillait pour une maison d’édition et qui m’a dit : « Jacques, t’es bon en dessin, toi. Je t’ai vu faire de la caricature quand tu travaillais dans les chantiers et puis, quand t’étais à l’Université de Montréal, tu travaillais pour un journal étudiant. Ça te tenterais-tu d’illustrer un livre qui s’appelle Le petit débrouillard ? » J’ai dit : « Ouais, mais moi, je n’ai jamais étudié là-dedans. Je ne suis pas un professionnel. » Il m’a dit que ça allait marcher. C’était en 1981. Ça a très, très bien marché. Donc, j’ai abandonné mon métier de géologue et je suis devenu dessinateur à temps plein pour Les Débrouillards.
De quels sujets aimez-vous parler dans vos caricatures ?
– Il y a certains sujets que je trouve ridicules et d’autres qui m’enragent. J’aime bien faire des caricatures sur des sujets de société, des choses touchantes. Très important aussi, je préfère les sujets qui vont durer longtemps, comme j’en fais, par exemple, dans La Gazette de la Mauricie. Dans un an, on peut regarder la caricature et on peut dire : « Elle marche encore, cette caricature-là » ou « C’est encore un problème ». Je n’aime pas ça, faire une caricature qui va être sur un petit événement particulier, comme un ministre qui a fait une erreur. Il y a des choses qui viennent me toucher vraiment dans mon cœur. Par exemple, les talibans, c’est un groupe qui a pris le pouvoir en Afghanistan et qui tyrannise le peuple, en particulier les femmes et les filles. Ils veulent les empêcher d’aller à l’école et de faire des études, de devenir médecins. C’est absurde ! Moi, ça me révolte, ça me permet de faire des caricatures qui ne sont pas nécessairement bonnes, mais qui permettent de réfléchir.
Quelles études doit-on faire pour devenir caricaturiste ?
– C’est une très bonne question. Je n’ai jamais étudié là-dedans. Alors, je dirais, comme conseil, qu’il faut que tu t’intéresses à tout, pas juste à la politique. Il faut que tu lises, il faut que tu poses des questions, il faut que tu aies un intérêt général pour tous les sujets. Ça peut être sur l’écologie, la nature, la politique internationale, ce qui se passe en Afrique, etc. Il faut que ce genre de choses-là t’intéresse et il faut que tu veuilles fouiller. Donc, ça prend de l’observation, de la curiosité et un intérêt pour la caricature, c’est-à-dire qu’il faut que tu regardes ce que les autres caricaturistes font. C’est très inspirant. Il faut que tu saches dessiner aussi. Tu n’as pas besoin d’être un très grand dessinateur. Si tu es capable d’exprimer tes idées, c’est correct. Il faut un esprit de synthèse aussi, ça veut dire qu’il faut que tu puisses voir une situation dans son ensemble. Voilà, donc, non, pas vraiment besoin d’études, mais des connaissances, oui, dans tous les domaines.
Ça te prend combien d’heures, en moyenne, pour faire une caricature ?
– Certaines caricatures sont très rapides. Des fois, ça peut me prendre 15 minutes. D’autres caricatures vont me demander plus de temps, comme une demi-journée. Ça dépend du sujet. Si j’ai une foule à dessiner, ça prend plus de temps parce qu’il y a plus de monde. Des fois, les sujets sont plus difficiles. Il y a des fois des idées qui viennent en une minute, mais des fois, ça peut prendre des jours. Réaliser le dessin comme tel peut prendre entre 15 minutes et trois heures. Je travaille à la main, pas à l’ordinateur. Je dessine sur du carton, du papier, à l’aquarelle. Après, je numérise mes dessins.
Avec les médias qui ont de plus en plus de difficultés, est-ce que le métier de caricaturiste est menacé ?
– Ah, c’est une très, très bonne question. Avant, les journaux étaient le moyen de communication. Donc, c’était la population générale qui était en contact avec un journal et chaque journal avait un caricaturiste. Maintenant, il y a une crise dans l’information. Avec Internet, il y a tellement de moyens différents d’avoir accès aux nouvelles qu’il y a beaucoup de journaux qui n’emploient plus de caricaturistes. Dans un certain sens, mon métier est un peu en voie de disparition, mais d’un autre côté, sur Internet, on peut trouver aussi des caricatures. Donc, des gens vont mettre en ligne des caricatures, mais pas nécessairement dans des journaux. Il y a toujours du travail à faire.
Quelle est votre plus grande source d’inspiration ?
– Je dirais que les gens qui souffrent, ça me dérange vraiment beaucoup. Ici, on vit dans un monde ou on est relativement heureux : on a accès à la nourriture, à des soins de santé, à l’éducation. Ça me fait de la peine quand je vois que, dans certains pays, des gens, des filles, n’ont pas le droit d’aller apprendre à lire et à écrire à l’école. Ça me touche vraiment beaucoup. Alors, disons que ce qui m’inspire beaucoup, c’est de réagir face à l’injustice, à l’intolérance et à la bêtise aussi.
Qu’est-ce que tu aimes dans ton travail de caricaturiste avec La Gazette de la Mauricie ?
– C’est toujours la curiosité de voir ce qui va m’être proposé comme sujet. Je deviens un peu comme un cuisinier : on t’amène un bout de radis, des épices, de la salade, trois tomates et des pâtes et là, il faut que tu fasses un repas avec ça. C’est un peu comme un défi, c’est ça que j’aime. C’est un journal pour tout le monde et j’aime bien l’idée de journal qui touche tout le monde. Le lecteur peut être le boulanger, comme ça peut être la marchande de fruits, comme ça peut être un enseignant. Je me dis qu’il y a sûrement des jeunes aussi qui lisent La Gazette de la Mauricie qui vont voir la caricature et qui vont dire : « Je le connais, lui, il travaille pour Les Débrouillards. » Ça me plaît, ça aussi.
Est-ce qu’il y a de l’avenir pour les jeunes qui veulent devenir caricaturistes ?
– Oui, absolument. Il y a des gens qui me demandent : « Est-ce que je peux aller dans une école pour apprendre le métier ? Et qu’est-ce que je peux faire pour me faire connaître, pour gagner des sous et tout ça ? » Mais il y a beaucoup d’endroits où tu peux travailler : des magazines pour les jeunes comme Les Débrouillards ou Québec Sciences. Il y a tous les journaux aussi. Et il y a un paquet d’organismes qui existent, comme Échec à la guerre ou Amnistie internationale, qui ont besoin d’illustrations.
Quelle est la caricature dont tu es le plus fier ?
– Oh, ça, c’est une bonne question ! Il y en a eu une que j’avais faite, à un moment donné, quand une professeure de Montréal est allée en Iran. C’est une dame qui s’appelle Homa Hoodfar et qui est d’origine iranienne. En 2016, elle est allée en Iran pour voir sa famille et puis elle a été emprisonnée là-bas parce que le gouvernement iranien voulait se venger de la politique canadienne, car le Canada était assez ferme avec l’Iran sur les droits humains. Alors, les représentants de l’Iran se sont vengés sur cette femme-là. Ce n’était pas quelqu’un de dangereux, c’était une professeure d’université, qui étudiait la condition des femmes en Iran. Ils l’ont prise et ils l’ont enfermée dans une prison en Iran pendant plusieurs mois. J’ai fait quelques caricatures qui sont parues dans des journaux pour aider à la libération de cette femme-là. Heureusement, elle a finalement été libérée. Donc, peut-être que mes dessins l’ont aidée un petit peu, parce que ça montrait l’absurdité d’enfermer une femme innocente pour essayer de faire pression sur le Canada.