Le Parti libéral du Québec est au pouvoir sans interruption de 1897 à 1936. Avant l’arrivée de Maurice Duplessis, le Parti conservateur peine à constituer une force d’opposition susceptible de menacer le gouvernement. Plusieurs hommes ambitieux profitent de cette toute-puissance du Parti libéral pour satisfaire leurs ambitions.
C’est le cas de Joseph-Auguste Frigon (1870-1944), qui a été maire de Saint-Narcisse (1896-1899), maire de Shawinigan (1913-1915 ; 1917-1918), puis finalement député de Saint-Maurice de 1927 à 1935. Propriétaire d’une entreprise de construction, il est l’un des grands bâtisseurs de la ville de Shawinigan.
Aux élections québécoises de 1927, le Parti conservateur, seul parti d’opposition, ne présente aucun candidat dans Saint-Maurice contre le député libéral sortant, Alphonse-Edgar Guillemette. Cette abstention des bleus dans le comté présente une occasion en or pour Frigon, qui se présente comme candidat libéral indépendant. Les affiliations partisanes n’apparaissent pas sur les bulletins de vote à l’époque et il est donc possible pour plusieurs candidats d’un seul parti de se présenter dans la même circonscription.
Les libéraux pourraient considérer que Saint-Maurice leur est acquis d’avance puisque les deux seuls candidats sont libéraux, mais Frigon est traité comme un candidat de l’opposition. Le ministre fédéral Lucien Cannon se rend à Shawinigan pour parler en faveur de Guillemette. Le maire de Shawinigan, J.-Alexis Dufresne, donne lui aussi son appui au député sortant. De son côté, Frigon accuse Guillemette et ses partisans d’avoir intrigué pour empêcher François Chrétien, maire de Saint-Étienne-des-Grès, de se présenter aux élections. Il reproche également à Guillemette son favoritisme dans l’octroi des licences de taverne. Il critique la corruption et la collusion dans le comté, mais prend bien garde de ne pas y associer le gouvernement.
Frigon est élu avec 55 % des voix. Le journal Le Devoir, sympathique à l’opposition, qualifie Frigon de libéral « fortement antiministériel » et affirme que c’est son attitude hostile au gouvernement qui a convaincu les électeurs de Saint-Maurice de lui accorder leur vote.
Ceux qui s’attendent à ce que le nouveau député soit un critique du gouvernement sont surpris lors de sa première intervention en Chambre. En effet, Frigon se fait le défenseur de l’administration contre le député de Maisonneuve, William Tremblay, qui accuse le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau de ne pas défendre les droits des travailleurs. Tremblay réclame la nationalisation des compagnies d’électricité, un sujet sensible pour Frigon puisqu’une des plus importantes compagnies, la Shawinigan Water and Power, se trouve dans son comté. Frigon reproche à Tremblay de « manquer d’esprit chrétien et de faire du bolchévisme ». Il s’emporte au point d’oublier le langage parlementaire et d’appeler son adversaire « M. Tremblay » plutôt que « le député de Maisonneuve », ce qui amène certains de ses collègues libéraux à crier « Order! Orde! ».
Par sa première intervention, Frigon montre ainsi qu’il n’est pas un électron libre. De fait, pendant toute sa carrière, il sera un bon défenseur du gouvernement libéral. Sa candidature en 1927 était davantage motivée par l’ambition que par un esprit de contestation. Aux élections de 1931, Le Nouvelliste précise que Frigon est désormais « libéral orthodoxe ». Il est battu aux élections générales de 1935 par le Dr Marc Trudel, candidat de l’Action libérale nationale qui ralliera bientôt l’Union nationale de Maurice Duplessis.
Joseph-Auguste Frigon tente un retour en politique aux élections fédérales de 1940 dans le comté de Saint-Maurice-Laflèche. Encore une fois, il se présente comme candidat libéral contre le député sortant, Joseph-Alphida Crête. Opposé à la participation du Canada à la guerre contre l’Allemagne, Frigon reproche à Crête de ne pas s’être levé pour protester à la Chambre des Communes. Il est le seul candidat anticonscriptionniste et cela semble pousser ses adversaires à s’unir contre lui.
Alphida Crête, le député libéral sortant, demande aux personnes qui ne veulent pas de lui de voter pour le Dr Joseph-Albert Béland, le candidat conservateur, plutôt que pour un candidat « incolore, sans chef » comme Frigon. Le Dr Béland lui rend la politesse en invitant l’électorat libéral à voter pour Crête plutôt que pour Frigon. Finalement, Elzéar Dallaire, un autre candidat libéral indépendant, se désiste et demande à ses appuis de plutôt voter pour Crête. Cette union des candidats a raison de Frigon, qui termine deuxième avec 6986 votes contre 9014 pour Crête.
Joseph-Auguste Frigon a certainement davantage marqué l’histoire de la Mauricie par son œuvre de bâtisseur et d’administrateur que par sa carrière politique. Ses intentions étaient peut-être sincères, mais il a davantage donné l’image d’un opportuniste ambitieux que d’un homme de principes.