Marc Langlois – Société – novembre 2021
Le 19 octobre dernier, lors de son discours inaugural de la session parlementaire – à saveur électorale – François Legault a présenté son plan de travail pour la fin du présent mandat et d’un prochain mandat souhaité. Il a proposé de nombreux ajustements systémiques en santé et dans les services de garde, tout en faisant appel « à la cohésion nationale » pour mettre en œuvre les changements qu’il a évoqués. Or, il s’est fait très discret sur le milieu de l’éducation, où les défis sont encore nombreux : pénurie d’enseignant(e)s et de professionnel(le)s, difficultés à appliquer les programmes d’aide aux devoirs et de mentorat, ventilation déficiente et bâtiments vétustes, etc. Pourtant, en 2018, la CAQ s’est fait élire en affirmant qu’elle ferait de l’éducation une priorité.
Les niveaux de littératie au Québec
Quelques jours plus tôt, le 14 octobre, était publiée une étude réalisée par la Fondation pour l’alphabétisation qui faisait état de la répartition géographique des degrés de littératie dans notre province; les capacités des répondants sont classées selon six niveaux de littératie (de 0 à 5) dans les régions et les MRC. Globalement, en 2016, ce sont 53 % des Québécois(e)s âgé(e)s de 16 à 65 ans qui n’atteignent pas le niveau 3 de littératie considéré comme le seuil minimal pour « lire des textes denses ou longs nécessitant d’interpréter et de donner du sens aux informations ». Les niveaux de littératie seraient influencés par des facteurs tels que les échecs ou le décrochage scolaire, le faible niveau de scolarité des parents, les conditions de vie difficiles et la pauvreté, les secteurs d’activité économique dans les régions, la démographie vieillissante, etc.
Cela implique qu’une proportion importante de la population a de la difficulté à donner du sens à des textes qui traitent d’enjeux complexes, comme les changements climatiques, le racisme systémique ou les problèmes de santé publique. En d’autres termes, ces questions impliquent plusieurs aspects et demandent à être interprétées avec nuance, alors que les résultats en littératie démontrent que plus de la moitié de la population québécoise ne serait pas outillée pour comprendre ces nuances et exercer un sens critique. Par ailleurs, ces résultats en littératie doivent être interprétés avec prudence. L’économiste Pierre Fortin en a fait un bel exercice en affirmant que lorsqu’on regarde les résultats chez les personnes âgées de 25 à 44 ans plutôt que chez les personnes âgées de 16 à 65 ans, le portrait semble moins catastrophique : 58 % des Québécois(e)s ont un niveau de littératie jugé bon ou excellent. Il ajoute que quand on compare les niveaux de littératie « des 25 à 44 ans du Québec à ceux des 24 pays avancés de plus de 3 millions d’habitants qui ont participé à l’enquête du PEICA en 2012 ou en 2015 », le Québec se situe en milieu de peloton à 1 % au-dessus de la médiane, derrière des pays tels que le Japon, la Finlande, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas.
Les indicateurs de cohésion sociale
Dans l’ouvrage L’égalité, c’est mieux, les auteurs Kate Pickett et Richard Wilkinson font la démonstration que les pays où la richesse est la mieux répartie sont ceux où les indicateurs de cohésion sociale (criminalité, santé, éducation, bien-être, etc.) sont favorables. Bien que le Québec se positionne avantageusement sur ce plan en comparaison des autres pays d’Amérique du Nord, à l’instar des données sur la littératie, il se situe en milieu de peloton au sein des pays de l’OCDE, encore à la remorque du Japon, de la Finlande, de la Norvège, de la Suède et des Pays-Bas. Ainsi, quand François Legault fait appel à la cohésion nationale pour lancer des changements, on peut penser qu’une excellente stratégie serait d’améliorer d’abord les conditions de vie – grandement touchées en contexte pandémique – des personnes les plus vulnérables. De cette manière, les niveaux d’éducation, de littératie, de santé et même de vitalité économique de l’ensemble de la population du Québec en seraient améliorés.