Devant la nécessité de réduire radicalement les émissions mondiales de gaz à effet de serre et de lutter contre les inégalités sociales, les propositions de la décroissance trouvent de plus en plus de sympathisants, partout dans le monde. Celles-ci seront-elles abordées lors de l’élection provinciale au Québec, cet automne ?
Au moment où les premières candidatures aux élections québécoises sont annoncées, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier, un rapport très attendu sur la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique.
Affirmant notamment que les tendances de développement actuelles et passées n’ont pas permis de freiner les changements climatiques et d’améliorer notre résilience à leurs effets, le rapport du Groupe de travail II du GIEC juge que la fenêtre d’opportunité pour changer de trajectoire se referme rapidement.
Surpasser le dogme de la croissance
Les conclusions des multiples rapports du GIEC ont eu une influence certaine sur le discours politique en matière de climat et d’environnement. En campagne électorale, tous les partis politiques, sans exception, mettent désormais de l’avant des solutions à la catastrophe climatique annoncée. Or, jusqu’à présent, toutes les propositions, même celles des formations politiques les plus vertes, soutiennent la croissance économique. Pour s’attaquer aux enjeux environnementaux, on promet constamment de la « croissance verte ». Les politiques proposées s’appuient généralement sur le postulat qu’en développant de nouvelles technologies et en consommant de manière responsable, l’économie pourra continuer à croître.
Les solutions mises de l’avant par les experts du GIEC dans ce nouveau rapport sont axées sur l’équité et la justice sociale et climatique ainsi que sur les solutions basées sur la nature. Le rapport souligne les effets négatifs inévitables des changements climatiques sur la croissance économique. Elle n’est toutefois pas apportée comme une solution aux problèmes climatiques qui nous menacent.
Depuis des années, les partisans de la décroissance dénoncent la foi aveugle dans les vertus des technologies ainsi que l’illusion du « découplage » qui promet de réduire l’impact environnemental à mesure que des gains d’efficacité sont obtenus. Selon eux, les solutions résident plutôt dans une réduction de la production, un meilleur partage (des richesses, du temps de travail, des espaces etc.) et une planification démocratique de l’économie. Un discours qui commence tranquillement à faire son chemin jusque dans les sphères politiques.
Les élections comme tribune
Lors des élections fédérales de 2021, une candidate indépendante de la région du Bas-Saint-Laurent, Noémi Bureau-Civil, a fait campagne en appelant à sortir de la course à la croissance économique pour adopter un programme de « décroissance choisie », en opposition à la « fausse solution » du développement durable.
« Les partis politiques se tournent vers le développement durable parce que c’est un moyen de rester dans le statu quo », explique la première candidate décroissantiste au pays. « On continue de nous promettre une croissance économique illimitée qui ne respecte pas les limites permettant la vie sur terre. Il y a beaucoup de greenwashing, de personnes et d’entreprises qui se saisissent de l’économie verte sans remettre en question le système économique en place », fait-elle valoir.
« On nous promet par exemple un virage au tout-électrique pour continuer à surproduire, surconsommer, et polluer sans égard aux êtres humains qui sont obligés d’extraire toujours plus de métaux stratégiques pour bâtir notre transition supposément “juste et propre”, dit-elle. À un moment donné, il faut avoir le courage d’apporter un message qui soit plus juste. »
Armée de ce courage et appuyée par une petite équipe, Noémi Bureau-Civil a donc entrepris d’utiliser la tribune qu’offre une campagne électorale pour propager les idées de la décroissance. « Je voulais forcer le dialogue sur ce sujet-là, qui n’a pas beaucoup de tribunes, explique-t-elle. C’était aussi une façon de remettre en question le système démocratique et de mettre de l’avant, dans la campagne électorale fédérale, des positions sur les injustices sociales et environnementales. »
Peu de temps avant elle, la femme politique française Delphine Batho s’est présentée à la primaire de l’écologie de 2021 avec un programme qui prône la décroissance comme « seul projet politique réellement alternatif », en martelant que l’objectif de la croissance constitue le principal obstacle à la transformation écologique. Ses appuis ont été nombreux et elle est arrivée en troisième position du premier tour, avec 22 % des voix.
Du côté de la Suisse, Yvan Luccarini, un « objecteur de croissance », a été élu, en avril 2021, à la tête de Vevey, une ville de 21 000 habitants. À son programme, des actions pour sortir des logiques productivistes : mobilité douce, végétalisation des rues, politiques familiales et démarches pour créer du lien social.
Porter le message
Le projet de société basé sur la décroissance s’invitera-t-il aussi dans la campagne électorale au Québec l’automne prochain ?
Noémi Bureau-Civil croit que les programmes des différents partis politiques demeurent encore peu ouverts aux idées de la décroissance et qu’il serait surprenant que des candidat(e)s sortent des « lignes de parti » préétablies pour en parler. « L’année dernière, le journal 24 heures a demandé aux quatre chefs de partis politiques de se prononcer. Aucun ne s’est dit en faveur de la décroissance. »
Toutefois, si les candidat(e)s n’abordent pas le sujet, les citoyens le feront, espère celle qui assure que ses propositions ont été accueillies positivement par les électeurs du Bas-Saint-Laurent. « Historiquement, les partis politiques sont à la remorque de la population. Lorsque celle-ci se sera emparée du sujet, les politiciens vont suivre, puisqu’ils veulent être élus. En attendant, insiste-t-elle, il faut porter sur toutes les tribunes un message radical qui soit à la hauteur de l’urgence climatique. »