Kathy Guilhempey – juin 2020 – Dossier Des plants pour l’avenir 

Laurence Lemire est travailleuse de rang pour l’ACFA (Au cœur des familles agricoles), un organisme provincial qui vise à soutenir et accompagner les agriculteurs vers le bien-être. Si l’organisme existe depuis 2003, c’est depuis 2017 qu’il a connu une expansion sans précédent, qui se poursuit toujours actuellement. Pour s’assurer de l’implication du milieu, l’organisme demande à différents acteurs de chaque région de financer 25% des services offerts sur le territoire.

Cela fait deux ans que Mme Lemire sillonne la Mauricie. Elle se déplace à la ferme, sauf demande contraire. Cette ancienne agricultrice, aujourd’hui titulaire d’une technique de travail social, affirme que c’est en travaillant avec la personne qu’elle rencontre, que les confidences se font. « Embarquer dans un tracteur ou traire les vaches, c’est aussi un moment de plaisir partagé. Et c’est nécessaire pour rentrer dans l’horaire surchargé des employés ou dirigeants d’exploitations agricoles. » Leur journée commence avant cinq heures du matin pour se terminer aux environs de vingt heures, sept jours sur sept.

Ses interventions les plus fréquentes concernent des conflits familiaux – ici, les affaires se font en famille – et le désenchantement de la relève. « Il y a souvent une vision idyllique de la ferme chez les enfants, qui prend fin lorsqu’une fois la scolarité terminée, le jeune devenu adulte, prend conscience que son père vit dans la misère depuis des années ». Et la pression embarque aussi à d’autres niveaux. D’abord, apprendre à gérer une entreprise de plusieurs millions avec aussi peu de personnel qu’un dépanneur. Puis chaque domaine se spécialise à outrance : « il est difficile pour une seule personne d’être un expert en nutrition, en fertilisation, en gestion, en ressources humaines, en écologie… », explique Laurence Lemire. Les normes environnementales sont de plus en plus lourdes. Si la majorité des agriculteurs sont en accord avec le bien-fondé de celles-ci, leur application peut se révéler un énorme casse-tête. La mondialisation inquiète beaucoup également, en constatant chaque année l’effritement des parts de marché. La crise paysanne traversée par l’Europe est aussi dans toutes les têtes.

Consultez les autres articles de notre dossier sur les enjeux agroalimentaires: Des plants pour l’avenir

« Pour les jeunes agriculteurs de la relève, c’est souvent au bout de 4 à 5 ans d’activité que la détresse psychologique atteint un pic », constate Mme Lemire. En plus de toutes les pressions évoquées, le cercle social de ces nouveaux agriculteurs est souvent réduit à néant, à force de décliner les invitations à souper et autres activités qui ne peuvent trouver de place à l’horaire d’un agriculteur. Restent les amis qui sont, eux aussi, agriculteurs. Mais c’est difficile de se confier à celui ou celle qui est également un compétiteur, et qui pourrait vouloir racheter la ferme. C’est un cliché, mais c’est aussi une réalité à ne pas sous-estimer.

Certaines spécialisations sont plus exigeantes que d’autres. Ainsi, la production laitière qui réclame un travail 365 jours par année sans aucune interruption, représente une écrasante majorité des demandes qui arrivent sur le bureau de Laurence Lemire. Toutes spécialités confondues, c’est un métier très exigeant aussi pour les femmes agricultrices, au niveau de leur santé mentale. Non seulement leurs compétences sont continuellement remises en doute, mais elles gèrent aussi la quasi-totalité de la vie parentale et domestique, en plus de leur travail à la ferme.

C’est avec ce sombre tableau en toile de fond que Laurence Lemire intervient. Nul doute que son enthousiasme et sa bonne humeur font toute une différence auprès de sa clientèle, qui trouve en elle la crédibilité d’une personne qui les comprend, pour avoir chaussé les mêmes bottes et traversé les mêmes difficultés. Malgré ce soutien solide dans nos rangs, espérons que des mesures gouvernementales rapides viendront alléger durablement la détresse psychologique des agriculteurs, avant que leur santé mentale ne prenne définitivement le champ. Car pour un agriculteur, la COVID-19 est loin d’être la plus grave crise qu’il a eu à traverser.

 

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