Alain DumasAlain Dumas, économiste – juin 2020

Même si la population mondiale a quadruplé depuis 100 ans, elle a été mieux nourrie, et à un coût moindre, de sorte que l’on croyait que le problème de la faim était sur le point d’être réglé. Mais, à partir de 2007, la tendance de fond s’est inversée : le prix de nombreux produits agricoles a augmenté sous l’effet conjugué des conditions météorologiques défavorables à la production, et d’une vague de spéculation financière sur le prix des céréales. Le nombre d’affamés s’est remis à augmenter, de sorte que l’on craint pour la sécurité alimentaire de la planète.

En effet, le nombre d’individus qui souffrent de la faim devrait atteindre 951 millions de personnes, soit une personne sur huit, contre 820 millions l’an dernier. Certes, la pandémie n’arrange rien, car en privant des millions de personnes de revenus, elle devrait augmenter de 130 millions de personnes le nombre d’affamés.

Starving child and vulture, Sudane Famine, Kevin Carter, 1993. Quelques mois après avoir pris cette photo pour laquelle il remporta un prix Pulitzer, le photographe Kevin Carter s’enleva la vie, se disant « hanté par les souvenirs de meurtres, de corps, de colère et de souffrance ». Le photographe avait été avisé de ne pas toucher les enfants car ils étaient porteurs de maladies. Il fut vivement critiqué pour ne pas avoir tenté de sauver le jeune homme. Cette image a fait le tour du monde et continue aujourd’hui de faire l’objet de débats quant au rôle d’intervention des photographes face à la détresse humaine.

Forte hausse de la consommation en vue

Alors que la population mondiale devrait passer de 7,6 milliards d’habitants à près de 10 milliards en 2050, l’ONU estime que cette hausse nécessitera à elle seule une augmentation de la production mondiale de céréales de 50 %[1]. En même temps, on prévoit que des centaines de millions de personnes devraient augmenter leur consommation de viande, ce qui nécessite des quantités importantes de céréales pour nourrir le bétail[2].

Une question centrale se pose : pourrons-nous accroître la production agricole sans mettre en danger l’équilibre écologique de la planète ?

Il existe deux façons de produire plus: accroître les surfaces cultivées ou améliorer la productivité des terres. Depuis les années 1990, la proportion du territoire affectée aux terres agricoles diminue, en raison de l’étalement urbain. L’expansion des terres agricoles se fait surtout au détriment des forêts tropicales de l’Amazonie et de l’Indonésie, de sorte que la déforestation touche déjà près de la moitié des forêts de la planète.

Des solutions sources de problèmes

Depuis 100 ans, la production agricole a augmenté grâce à une amélioration des rendements agricoles, qui reposent sur une utilisation plus intensive des machines, engrais chimiques, pesticides, énergie et eau. Or, depuis les années 1990, la hausse de productivité plafonne, alors que les réserves souterraines d’eau et la biodiversité se tarissent rapidement.

De plus, avec les changements climatiques, les phénomènes météorologiques extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, ne font que s’amplifier et nuire à la production des céréales[3]. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la hausse de la faim est maintenant imputable en bonne partie aux changements climatiques.

Pour résoudre le problème de la faim, nous devons lutter non seulement contre les changements climatiques, mais aussi contre certaines pratiques commerciales et de consommation. Car la mondialisation des échanges commerciaux a poussé les producteurs à offrir des produits toujours moins chers, en sacrifiant l’environnement et la biodiversité. On constate par ailleurs que le tiers des aliments dans le monde est gaspillé, d’une part à cause du transport défaillant des aliments d’un bout à l’autre de la planète, et d’autre part à cause du comportement insouciant des consommateurs qui jettent des millions de tonnes d’aliments trop peu chers pour s’en offusquer.

Non, le retour à la normale n’est plus possible. Nous devons redéfinir nos besoins de consommation et prioriser la souveraineté alimentaire des peuples.

Sources

[1] Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), L’état de la sécurité alimentaire et de la malnutrition dans le monde, Rome, 2017, 144 pages.

[2] Il faut en moyenne de 7 à 10 kilos de céréales pour produire un kilo de viande.

[3] Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), L’état de la sécurité alimentaire et de la malnutrition dans le monde, Rome, 2018, 218 pages.

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