Florie Dumas-Kemp – InternationalCS3R – juin 2021 

Banderole déployée en Afrique du Sud : « Ne gâchez pas la situation pour tous les autres. Ne bloquez pas la suspension des brevets. Non aux monopoles de brevets pendant une pandémie » Source : Treatment Action Campaign (TAC)

En mai dernier, l’Inde et l’Afrique du Sud ont renouvelé leur proposition de suspendre les brevets pour les vaccins ainsi que pour tout autre médicament et technologie permettant de lutter contre la pandémie de COVID-19. Cette proposition est aujourd’hui appuyée par plus de 120 pays, principalement des pays dits en « voie de développement ». Le 5 mai, les États-Unis ont fait volte-face et annoncé qu’ils appuyaient la suspension des brevets pour les vaccins contre la COVID-19. Le Canada refuse toujours de se positionner. Après plus d’un an de pandémie, et alors que celle-ci fait des ravages dans plusieurs pays comme le Brésil, l’Inde et la Colombie, quelles actions doit prendre le Canada pour assurer une justice vaccinale mondiale ?

Soutenir la proposition de suspendre les brevets

La proposition de suspendre certaines règles commerciales de propriété intellectuelle permettrait de s’attaquer aux inégalités vaccinales mondiales. À l’heure actuelle, seulement 0,3% des doses administrées mondialement l’ont été dans des pays à faible revenu. On note aussi que 85% des vaccins ont été administrés dans des pays riches ou à revenu moyen supérieur. On estime que les populations des pays à faible revenu pourraient recevoir leur dose seulement en 2024, si elles finissent par en recevoir.

Les pays riches auront accès plus rapidement aux vaccins COVID-19 que d’autres. En vert foncé, d’ici septembre 2021/mars 2022. En vert pâle, d’ici septembre 2021/juin 2022. En orange, d’ici 2022. En rouge, d’ici avril 2022-2023.

Présentée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) il y a de cela huit mois, le Canada s’est d’abord opposé à la proposition. À présent, il refuse de se prononcer clairement. Ainsi, il contribue à retarder un processus qui permettrait d’augmenter les capacités mondiales de production vaccinale.

Le Canada fait partie des pays refusant de se prononcer sur la suspension des brevets liés à la COVID-19. Étoile jaune, parraine la proposition; Vert, supporte la proposition; X orange, rejette la proposition; ? rouge, ne s’est pas prononcé. Source : Médecins sans frontières

Selon la People’s Vaccine Alliance, qui lutte pour des vaccins COVID-19 accessibles mondialement, suspendre les brevets permettrait de briser le monopole des mégaentreprises pharmaceutiques. Pour plusieurs, le système actuel de brevets fonctionne d’abord et avant tout pour l’industrie pharmaceutique et les profits de ses actionnaires. C’est ce qu’avance Heidi Chow, de Global Justice Now qui est membre de la People’s Vaccine Alliance.

Comme l’explique Heidi Chow, nous sommes face à « un ensemble de règles commerciales que les entreprises pharmaceutiques ont écrites dans leur propre intérêt, créant ainsi un monopole où elles ont le contrôle plein et entier sur les prix, la distribution et l’approvisionnement de produits essentiels qui permettent de sauver des vies. » Présentement, chaque nouveau produit pharmaceutique (test, vaccins, médicaments) est breveté pour un minimum de 20 ans par une entreprise qui est la seule à pouvoir le produire et le vendre. Heidi Chow déplore que ce système ait créé l’apartheid vaccinal que l’on connaît présentement « où les vies des personnes noires et racisées du Sud global sont sacrifiées sur l’autel du profit. ».

Redistribuer des doses aux pays à faible revenu

En accaparant des centaines de millions de doses et en signant des ententes bilatérales avec des pharmaceutiques, le Canada a participé activement à l’abysse inégalitaire vaccinal. Selon Amnistie Internationale, nous sommes le pays ayant prévu, proportionnellement à sa population, le plus de doses dans le monde, en réservant jusqu’à 5 doses par habitant. Ce type d’ententes signées par les pays riches du Nord a nui au programme de distribution COVAX destiné aux pays plus pauvres en réduisant le nombre de doses disponibles. Le comble dans tout cela : le Canada a lui-même bénéficié de doses par le régime COVAX.

Dans cette optique, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et plusieurs organisations internationales comme OXFAM, appellent les pays riches à redistribuer des doses aux pays dans le besoin – qui n’ont toujours pas pu vacciner leur personnel médical, par exemple. « Je comprends que certains pays veulent vacciner leurs enfants et leurs adolescents, mais pour l’instant, je leur demande instamment de reconsidérer leur décision et de faire plutôt don des vaccins à COVAX », a déclaré le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Exiger que les pharmaceutiques partagent leurs technologies

En plus de ces deux actions essentielles, le Canada devrait aussi exiger que les pharmaceutiques partagent leurs technologies et savoir-faire afin que les vaccins et médicaments contre la COVID-19 puissent être fabriqués à grande échelle. Pour ce faire, la People’s Vaccine Alliance appelle les compagnies à contribuer au Groupement d’accès aux technologies contre la COVID-19 de l’OMS. Jusqu’à présent, aucune entreprise pharmaceutique n’y a contribué. Rappelons toutefois que tous les vaccins ont reçu du financement public pour leurs recherches, parfois en quasi-totalité ou en grande partie. De plus, le monopole entourant les vaccins contre la COVID-19 a créé 9 nouveaux milliardaires. Une fortune cumulée qui permettrait de vacciner les pays les plus pauvres, selon Oxfam.

Ne pas répéter les mêmes erreurs

Le présent monopole des vaccins n’est pas soutenable : il crée une pénurie artificielle et empêche une distribution égalitaire des vaccins contre la COVID-19 dans le monde. Le Canada doit y mettre un terme en soutenant la suspension des brevets. Lors de la crise du VIH, des milliers de personnes du Sud global ont perdu la vie, n’ayant pu accéder à des médicaments indispensables « étant donné les prix élevés imposés par des monopoles de brevets injustifiés », rappelle Sibongile Tshabalala, de la Treatment Action Campaign (TAC), une campagne qui a lutté pour des traitements accessibles contre le VIH en Afrique du Sud. « Ne répétons pas les mêmes erreurs », avance-t-elle.

 

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