REMISE EN QUESTION (réflexions dirigées sur des enjeux de société, NDLR)

Aux yeux de plusieurs, l’Université du XXIe siècle aurait opéré un virage professionnel, s’éloignant graduellement de son rôle de développement de la pensée critique pour se concentrer principalement sur la production de diplômés hyperspécialisés. Tributaire du marché de l’emploi et des politiques s’y rattachant, croyez-vous que la pensée critique soit menacée par les exigences de main d’œuvre de l’État et de l’industrie ? Quels sont les défis auxquels les universités et les universitaires font face pour préserver leur autonomie respective ? Nous avons demandé à Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS, de se prononcer sur ces questions. 

Getty images – Fat Camera

 

Philippe Hurteau – l’auteur est chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques – septembre 2021 – Dossier L’Université de demain 

« Le monde de demain ne souffrira pas d’un manque de spécialistes, mais bien d’une carence de généralistes ». Je cite de mémoire les mots d’accueil d’un professeur anonyme lors de mon entrée au baccalauréat il y a de cela une vingtaine d’années. À nous, jeunes étudiants motivés, il voulait servir un conseil sous forme d’avertissement : l’université fera tout en son pouvoir pour vous pousser à la surspécialisation, ne vous laissez pas faire!

Le marché du travail à besoin de gens ultra spécialisés. Les entreprises rêvent d’avoir accès à des experts en connaissances utiles et applicables. L’État préfère la stimulation de la croissance économique à celle de la pensée. S’investir dans un autre chemin, refuser de se laisser enfermer dans un champ disciplinaire précis relève alors d’un acte de résistance.

Pour être clair : il n’est pas question ici d’un refus des démarches scientifiques rigoureuses, le politologue que je suis ne s’improvisera pas généticien du jour au lendemain. Il est plutôt question d’un refus critique des cloisons étanches entre les disciplines et, plus fondamentalement encore, d’une position de principe en faveur d’une actualisation large et immodérée de la curiosité intellectuelle.

Sous prétexte d’efficacité, de meilleurs rendements et de rehaussement de la production (lire ici la maximisation des retombées de recherche), c’est cette curiosité « originelle » qui est mis à mal par l’université contemporaine. Comme le monde est vaste, la volonté de connaissance doit l’être tout autant. Refuser de se spécialiser, revient à agir en intellectuel libre : aller là où nous mène nos enquêtes et réflexions, suivre les chemins tumultueux des contradictions de notre époque et s’investir dans la société en pédagogue et non comme simple accompagnateur de l’économie du savoir.

Pour ma part, être un généraliste veut dire m’intéresser aux théories économiques et fiscales afin de mieux saisir la conjoncture actuelle. Cela veut aussi dire de m’attarder aux philosophies du social, à la genèse de notre société par-delà ses mythes fondateurs. Être un généraliste, c’est aussi avoir consacré sept ans de ma vie à l’étude de l’émergence, dans la France du 19e siècle, du socialisme comme courant politique. Et la liste peut s’allonger : histoire des politiques d’habitation, débats sur les seuils minimaux à offrir en termes de solidarité sociale, compréhension des mécanismes de la financiarisation économique, retour incessant aux dynamiques de la féodalité de l’an 1000 en occident, etc.

L’université du 21e siècle gagnerait à être construite de cette manière. Favoriser le butinage, avec liberté et audace.

 

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