
Le milieu de la culture et des arts au Québec traverse une période de crise. Depuis la pandémie, on assiste annuellement à une diminution du budget total du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Selon le Front commun pour les arts, en quatre ans, le budget alloué au CALQ est passé de 224 millions pour la période 2020-2021 à 172 millions pour la période 2023-2024. Cette coalition, qui regroupe près de 21 associations représentant les personnes qui travaillent dans le domaine des arts et de la culture, exige un meilleur financement ainsi qu’une pérennité du budget du CALQ. Mais pourquoi le financement est-il au cœur des enjeux actuels ? Pourquoi l’investissement public est-il si essentiel à la préservation de l’identité culturelle québécoise ? Et si l’on pousse la réflexion plus loin, pourquoi devons-nous préserver ce milieu et comment y parvenir ? Pour répondre à ces questionnements, Robert Aubin, dans la dernière émission de La tête dans les nuances, a reçu la romancière Maureen Martineau, le directeur artistique du festival Mémoire et Racines, Simon Beaudry, ainsi que le président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ), Vincent Séguin.
Précarité sociale et économique
Au fil de la discussion, les trois invité-es s’accordent à dire que les principales victimes des coupures budgétaires sont d’abord les artistes et les gens du milieu artistique et culturel, mais aussi les citoyens et citoyennes. D’une part, la grande majorité des artistes vivent dans une précarité financière et ne bénéficient d’aucun filet de protection sociale qui leur permettrait de gérer les risques et les instabilités associés à leur travail. « Le salaire annuel médian des artistes du Québec est de 15 000 $. On veut simplement que nos artistes puissent vivre dignement et de manière pérenne », affirme Vincent Séguin.
Maureen Martineau souligne que « couper dans ce milieu est encore plus douloureux puisqu’il s’agit déjà du secteur le moins subventionné ». Elle rappelle que, pour plusieurs organisations, les subventions gouvernementales ne représentent qu’environ 20 % de leur financement total, mais que cette portion reste essentielle à leur vitalité. Elles permettent, par exemple, de limiter l’augmentation du prix des billets et d’éviter que la population n’ait à assumer le déficit.
Rapports de force inégaux
L’appauvrissement des artistes affaiblit leur rapport de force face aux industries culturelles. Comme l’explique Vincent Séguin, les artistes ont de moins en moins les moyens de contribuer financièrement aux associations qui les représentent. Par conséquent, ces associations sont de plus en plus limitées dans leur capacité à défendre leurs membres, ce qui perpétue un cercle vicieux d’appauvrissement et d’inégalités.
Par ailleurs, ce sont les artistes qui sont le plus touché-es par cette dynamique. Le nombre de sollicitations diminuant, ils-elles se retrouvent contraint-es d’accepter des contrats de moins en moins rentables. Simon Beaudry déplore cette situation. Contrairement aux gens qui exercent divers métiers dans le milieu culturel, comme les technicien-nes, « des artistes, il y en aura toujours. J’ai été artiste pendant plus de 20 ans, je connais bien cette réalité. Peu importe ce qu’on lui offre, l’artiste va accepter, parce que c’est dans ses tripes, c’est un besoin vital. Et on a sans doute beaucoup abusé de ça. »
Pour un Québec fier
Le manque de financement a des conséquences importantes sur le travail qu’il est possible de donner aux artistes. Simon Beaudry explique, par exemple, que le festival Mémoire et Racines, dont il est le directeur artistique, ne peut engager qu’environ 1 % des artistes qui lui soumettent leur candidature. Selon le Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants (dont Mémoire et Racines est membre), bien que la fréquentation des festivals ait augmenté, la diminution du financement public et l’augmentation des coûts de production créent d’importants déficits. « Ça fait 31 ans que Mémoire et Racines existe. Il y a des artistes qui y jouaient il y a 17 ans, et je ne peux même pas leur offrir le même cachet », déplore-t-il.
Certaines institutions choisissent de fermer leurs portes ou de réduire le nombre de prestations afin de mieux rémunérer leurs employé-es et les artistes, ce qui a des conséquences sur l’accessibilité à la culture. Pourtant, les festivals, tout comme la culture et l’art en général, jouent un rôle fondamental dans l’identité québécoise. « Peu importe nos orientations politiques, on est tous fiers d’être Québécois. On est un petit peuple précaire avec une expertise unique, il faut préserver ça », dit-il.
Un financement si essentiel
Au final, le financement du milieu culturel québécois est essentiel pour plusieurs raisons. La province demeure un marché restreint en raison de sa petite taille par rapport au reste du monde. Il est donc difficile de rivaliser avec les productions étrangères, ce qui influence la rentabilité des créations locales. En aval de son impact économique, la culture contribue à une identité forte qui rayonne à l’international. Le financement public permet également d’offrir des spectacles, des expositions et des événements à des prix abordables, voire gratuitement. Sans ce soutien, l’accès à la culture risquerait de devenir un luxe réservé à une élite.
Les invité-es s’accordent à dire que l’État a une grande responsabilité, tant en matière de financement que d’éducation des jeunes générations, afin de préserver l’identité québécoise et la langue française.
« On veut donner la chance aux projets de la relève, parce que ça réécrit à l’heure du jour la culture québécoise. Et avec ses valeurs et son langage, c’est tout une génération qui propose quelque chose de très vivant et de très net. » – Maureen Martineau, romancière et comédienne, metteure en scène et auteure dramatique au Théâtre Parminou durant une trentaine d’années
« On passe la journée à chanter et à fredonner, et tout ça a été composé par du monde. On ne le réalise peut-être pas, mais ça change notre vie. Il faut encourager davantage notre culture locale, c’est le danger de faire de la planète un village. » – Simon Beaudry, membre du groupe international Vent du Nord pendant plus de 20 ans et nouvellement directeur artistique du Festival Mémoire et Racines.
«Le message qu’on veut passer, le but des programmes d’art, ce n’est pas de faire des élèves des artistes, c’est de leur donner des compétences à développer. On développe des aptitudes, on devient de meilleures personnes. Ça va façonner le cheminement et le parcours scolaire, et on donne aux jeunes cette soif, cette faim pour l’art. Ultimement, il s’agit de développer public de demain, en sensibilisant les jeunes à toutes les formes d’art. C’est une façon, à long terme, de pallier le problème. » – Vincent Séguin, président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec.