Jean-Yves Proulx, Juin 2015
De l’État providence au service des citoyens, nous sommes passés à l’État providence au service de l’entreprise privée.
La grande entreprise est apatride, elle joue les travailleurs du monde entier les uns contre les autres, sans égard ni à leur santé ni à leur environnement. L’État, censé promouvoir les intérêts de ses citoyens, est maintenant en concurrence avec les autres États de la planète pour offrir aux multinationales les meilleures situations d’affaires possibles.
Il élimine les normes en matière de protection de l’environnement ou de sécurité au travail, diminue les impôts des entreprises, supprime les taxes sur le capital, signe des « accords préventifs de double imposition » avec les États-paradis-fiscaux pour permettre aux entreprises délinquantes d’éviter d’avoir à verser leur juste contribution au trésor public. Bien que ces entreprises profitent d’infrastructures coûteuses et d’une main-d’œuvre instruite et en santé, le gros de la facture est refilé aux citoyens. Cela s’appelle de la souplesse, du dégraissage, de la réingénierie.
Toujours pour plaire à la grande entreprise, l’État gruge la liberté d’association des travailleurs, réduit leurs fonds de pension et limite l’accès à l’assurance emploi : les travailleurs doivent accepter de travailler plus pour moins. La sécurité d’emploi ? Elle « encourage l’incompétence! » nous répète-t-on tout en encensant la sagacité des investisseurs qui recherchent la sécurité. Parallèlement, la valeur des actions grimpe en bourse, actionnaires et spéculateurs s’enrichissent. Et l’État continue de s’appauvrir ! Et on utilisera ce constat comme preuve de l’inefficacité du public et de l’efficience du privé.
Sous prétexte de vouloir créer de l’emploi, on a atteint discrètement un deuxième objectif : l’État n’a plus les moyens de financer ses infrastructures, son système de santé, son système d’éducation… L’État en est rendu à transformer ses citoyens en consommateurs de soins de santé privés. Le malade est devenu client, la maladie, source de profits. L’éducation ? Même sort : un bien de consommation, générateur de profits.
Voici ce qu’écrivait Alain Deneault dans son plus récent livre intitulé Gouvernance, le management totalitaire : « Dans les années 1980, les technocrates de Margaret Thatcher ont habillé du joli nom de “gouvernance” le projet d’adapter l’État aux intérêts et à la culture de l’entreprise privée. Ce coup d’État conceptuel va travestir avec succès la sauvagerie néolibérale en modèle de “saine gestion”. »
Dans un tel contexte, comment peut-on espérer que l’État puisse un jour atteindre l’équilibre budgétaire ?
On nous dit vivre en démocratie. Comment les citoyens ont-ils pu cautionner l’augmentation fulgurante des revenus d’un petit nombre d’individus et l’appauvrissement tout aussi spectaculaire de la majorité de la population planétaire?