
Cette année, la semaine de prévention du suicide organisé par l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS) se déroulera du 2 au 8 février. Cette édition mettra de l’avant l’importance de discuter du suicide, parce que, pour arriver à un Québec sans suicide, tout le monde doit se sentir concerné puisqu’il s’agit d’un problème de santé publique. Ce mois-ci, à l’émission La tête dans les nuances, Robert Aubin reçoit trois personnes pour se questionner sur ce phénomène. Il s’agit de Luc Massicotte, conseiller innovation et développement pour la stratégie et les services numériques à l’AQPS, Catherine Durrer, coordonnatrice clinique au Centre de prévention suicide Accalmie, et Johanne Lefebvre, paire aidante famille à l’organisme Le Périscope.
Le phénomène du suicide
Chaque année, au Québec, ce sont environ trois personnes par jour qui décident de s’enlever la vie (2021). Celles-ci laissent généralement 6 à 10 personnes de leur entourage dans le deuil. Au Canada, ce chiffre est de 12 personnes par jour (2020). Le suicide résulte de plusieurs facteurs et les proches peuvent tenter de le prévenir en détectant différents signes d’alerte que l’on peut observer chez les personnes suicidaires. Ces personnes se sentent souvent désespérées et isolées, et tiraillées entre la volonté de mettre fin à leur souffrance et celle de continuer à vivre. Intervenir rapidement et avec bienveillance est essentiel, car la plupart des personnes qui survivent à une tentative de suicide se disent heureuses d’être en vie.
Une question politique
D’entrée de jeu, le panel aborde le phénomène du suicide sous un angle sociologique. Selon Luc Massicotte, chaque culture entretient sa propre relation avec la souffrance et la détresse. Il cite l’exemple d’Haïti, où le taux de suicide est très bas, et celui du Japon, où il est particulièrement élevé, pour illustrer cette diversité culturelle. Selon lui, il est essentiel que la société adopte un regard collectif sur ce phénomène. Se sentir davantage concerné-e par les souffrances des autres pourrait grandement contribuer à réduire le taux de suicide au Québec. Le taux de mortalité par suicide n’est pas le seul élément à considérer pour savoir si la situation s’améliore, explique Luc Massicotte. Il faut également tenir compte d’autres facteurs, notamment le taux d’hospitalisation à la suite d’une tentative ou de messages comportant des idées suicidaires, ou encore ce que rapportent les personnes à ce sujet dans les enquêtes populationnelles.
Des mythes qui persistent
Grâce à cette discussion, on constate que, malgré les efforts pour démystifier le suicide, certains malentendus persistent. Tout d’abord, une question revient souvent : le fait d’aborder le sujet peut-il inciter quelqu’un à passer à l’acte ? Catherine Durrer nous rassure à ce sujet : non, au contraire. Parler de ces enjeux montre à des personnes fragiles qu’elles ne sont pas seules et que nous pouvons les accompagner.
Par ailleurs, il arrive fréquemment qu’après un suicide les personnes proches affirment n’avoir décelé aucun signe précurseur. Luc Massicotte explique que ces signes, s’ils existent bel et bien, peuvent être difficiles à percevoir pour un individu seul. Pour les saisir, il est essentiel que les gens de l’entourage de la personne concernée échangent leurs observations. Il illustre cette idée en utilisant l’image d’un casse-tête : chaque proche détiendrait une pièce, et ce n’est qu’en les rassemblant que l’on obtient une vision globale de la situation. Il insiste donc sur l’importance de nommer nos inquiétudes.
Enfin, on peut parfois penser que les personnes qui expriment des idées suicidaires cherchent seulement à manipuler les autres ou à attirer l’attention. Là encore, une nuance s’impose. Johanne Lefebvre et Catherine Durrer soulignent que, si ça n’est pas toujours le cas, quand on observe ce genre d’attitudes, il faut les prendre au sérieux, parce que ça peut souvent refléter une détresse profonde et nécessiter une réflexion. Pour Johanne Lefebvre, cela est d’autant plus vrai lorsqu’on accompagne une personne ayant un trouble de santé mentale.
L’expertise québécoise
« Nous pouvons être fiers du Québec. Notre expertise est sollicitée partout dans le monde », affirme Luc Massicotte. Le Québec est en effet la région du monde où l’on compte le plus grand nombre de chercheurs et chercheuses par habitant-e dans ce domaine.
Au tournant des années 2000, face à l’augmentation préoccupante des suicides, le Québec a pris des mesures audacieuses en investissant massivement pour développer une expertise dans ce domaine. La province s’est démarquée par sa pratique clinique, notamment grâce à l’élaboration d’outils d’évaluation du risque et à ses interventions en postvention, c’est-à-dire pour soutenir les milieux touchés par un suicide.
« Le suicide c’est aussi une question sociologique, c’est-à-dire que, pour nous, il y a un rapport culturel à la souffrance. […] Il y a quelque chose de la culture ; comment, comme collectivité, on répond à notre souffrance ? Quel est notre réflexe par rapport à notre capacité à gérer nos difficultés ? Ça peut varier d’un pays à l’autre. C’est pour ça aussi qu’il est important de pouvoir travailler sur cet aspect culturel. Il y a une lunette collective. »
– Luc Massicotte, conseiller innovation et développement pour la stratégie et les services numériques à l’AQPS
« Il ne faut pas penser que de poser la question va donner l’idée à la personne de passer à l’acte, mais au contraire, si on a des doutes qu’une personne a des pensées suicidaires, c’est important de lui poser la question. Parce que ça va lui démontrer premièrement que si on lui pose la question, c’est qu’on est en mesure de recevoir la réponse et ça va leur démontrer qu’ils peuvent en parler. »
– Catherine Durrer, coordinatrice clinique du Centre de prévention du suicide Accalmie
« Avec nos proches qui sont malades, le suicide plane tout le temps, c’est toujours là. On vit avec l’inquiétude de ça, tout le temps. »
– Johanne Lefebvre, intervenante et paire aidante familiale à l’organisme Le Périscope