L’art n’est pas le produit, c’est le chemin – Marie-Josée Plouffe. Photo : Dominic Bérubé
L’art, sous ses multiples formes, joue un rôle crucial dans la société en tant qu’outil d’expression, de communication ainsi que de transformation personnelle et collective, une dualité qui se manifeste particulièrement dans les domaines de l’art communautaire. Pour mieux comprendre ces concepts, nous avons rencontré, entre autres, Marie-Josée Plouffe, professeure d’art dramatique au département de philosophie et des arts de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Son parcours unique et son engagement profond dans les milieux communautaires font d’elle une figure incontournable de l’art communautaire en Mauricie.
« C’est ça, l’Art ! »
La Gazette s’est entretenue avec la professeure d’art dramatique autour d’un café. Lors de ses études supérieures, elle s’est spécialisée dans l’enseignement destiné aux personnes ayant des besoins particuliers. En Mauricie, Marie-Josée Plouffe semble être une référence en art communautaire. En effet, elle s’est toujours impliquée activement dans les milieux communautaires, en tentant, à sa manière, de permettre aux personnes neurodivergentes de se réapproprier leur condition et leur existence. En 1998, elle cofonde La Fenêtre, un centre d’immersion artistique unique au Québec, qui propose des ateliers d’art adaptés aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap, tout en favorisant l’entraide et l’épanouissement personnel.
Nous lui avons demandé ce qui définissait l’art communautaire. Sans détour, elle a répondu que, pour répondre à cette question, il fallait savoir ce que l’art signifiait pour nous. Pour sa part, afin d’illustrer ce qu’est l’art communautaire, elle a tenu à raconter son histoire personnelle. Après avoir obtenu son diplôme en études théâtrales au Cégep Lionel-Groulx et entamé des études universitaires, elle commence à travailler comme comédienne à Montréal. Alors qu’elle tourne une publicité pour la compagnie Vachon, elle a une révélation soudaine : « Ce n’était pas ça l’art, ce n’était pas ce que je voulais faire », lance-t-elle. Elle décide donc de quitter le plateau, non sans susciter la grogne de son agente. À 28 ans, elle se retrouve alors sans travail et sans agent.
Peu de temps après ce revirement, elle se voit offrir un petit contrat d’animation théâtrale avec des personnes atteintes de troubles mentaux sévères. Il s’agit d’un moment déterminant pour elle. Émue, elle nous confie qu’elle venait trouver ce qu’elle cherchait : « C’est ça l’Art ! C’est pas le produit, c’est le chemin. L’art communautaire a changé ma vie. »
Le processus aussi important que le résultat
Esther Fillion, coordonnatrice et intervenante communautaire pour Engrenage Noir/Rouage, un organisme sans but lucratif visant le développement de l’art communautaire au Québec, fait sensiblement le même constat que Marie-Josée Plouffe concernant « le chemin ». En effet, en entrevue, elle explique « que le processus est aussi important, voire plus, que l’œuvre elle-même ». Mais alors, qu’est-ce que l’art communautaire ?
Véronique Leduc, artiste multidisciplinaire et professeure au département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal, a travaillé ce concept lors de son doctorat en menant des recherches sur des femmes criminalisées qui participaient à un projet d’art communautaire mené justement par Engrenage Noir. Selon elle, l’art communautaire « se caractérise par le processus collectif, collaboratif et co-créateur entre des artistes et des membres d’une communauté ». Esther Fillion abonde dans le même sens. Elle ajoute que « les membres de la communauté sont directement concerné-es par un enjeu commun et partagent souvent une situation d’inégalité ou d’exclusion. Donc, ces personnes s’engagent volontairement dans le processus et expriment publiquement leur réalité ou leur vision du monde. Et puis on dit que le projet contribue donc ainsi à la transformation de la société. »
Au cours de la pandémie, Engrenage Noir a élaboré avec des artistes quatre principes clés concernant l’art communautaire. Le premier principe, sans grande surprise, reconnaît la présence de la communauté. Le deuxième est celui de la co-création, c’est-à-dire que tout le monde est sur un pied d’égalité dans le processus de création, autant l’artiste que les participant-es. Le troisième repose sur la notion de temps : « Juste de construire la confiance dans le groupe, de démystifier le médium qui sera utilisé […], il faut apprivoiser cela tranquillement. » On doit comprendre ensemble notre situation, et aller un peu plus loin que la seule expression de notre propre problème. Finalement, le dernier principe requiert la présentation publique des résultats, pour « rendre visible une vision du monde », explique Esther Fillion.
L’art communautaire en Mauricie
Si nous avons mentionné La Fenêtre, il ne s’agit pas de la seule communauté artistique de ce genre dans la région. Par exemple, au Centre des arts de Shawinigan, on retrouve Les Impatients. Cette communauté offre un soutien aux personnes souffrant de troubles de santé mentale grâce à l’expression artistique. Javier Escamilla, médiateur culturel et artiste qui accompagne la communauté, explique que le nom signifie justement que ces personnes sont beaucoup plus que des diagnostics : « Nous ne sommes pas des patients, nous sommes des im-patients. »
Tout bien considéré, l’art communautaire démontre le pouvoir transformateur de l’expression artistique collective. Ces expériences montrent que l’art peut offrir un espace de réappropriation de soi et de guérison sociale, et met en lumière l’importance du processus créatif.