Elle fait la une des médias du monde entier et s’inscrit maintenant comme une tendance inévitable de notre époque : l’intelligence artificielle (IA) fascine autant qu’elle effraie. Alors que des pays européens comme l’Italie bloquent l’accès à certains types d’IA, d’autres comme les Émirats arabes unis l’accueillent à bras ouverts. Au Québec, plusieurs questions demeurent en suspens quant à son intégration au sein de notre société, notamment en éducation. Les panélistes de La tête dans les nuances se sont penchés sur les risques et les opportunités de cette technologie.
Dans l’émission consacrée à ce sujet, l’animateur, Robert Aubin, reçoit trois invités pour discuter de ce sujet qui bouleverse actuellement l’enseignement postsecondaire : France Lafleur, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières ; Martine Peters, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais, spécialiste de la technopédagogie et du plagiat ; ainsi qu’Éric Martin, professeur de philosophie au Cégep de St-Jean-sur-le-Richelieu et chercheur associé à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
QUAND CHATGPT S’INVITE EN CLASSE
Au sein des milieux académiques québécois, un nom est sur toutes les lèvres en ce moment : ChatGPT. Pour ceux, celles et ciels qui comme moi sont des novices en la matière, ChatGPT est un programme informatique qui utilise l’IA pour répondre aux différentes demandes de l’utilisateur-trice, quel que soit le domaine. Il est de plus en plus présent en classe et est considéré par plusieurs comme une menace à l’apprentissage des étudiant-es. D’emblée, les panélistes France Lafleur et Martine Peters ont tenu à nuancer cette perception voyant plutôt en l’intelligence artificielle un progrès technologique inédit qui mène, entre autres, à des avancées en neurolinguistique et pouvant potentiellement aider les étudiant-es. Pour Éric Martin, ChatGPT risque de devenir une nuisance majeure, voire l’ennemi à abattre ; « ces machines fascinent car elles semblent faire du sens, mais en fait elles ne comprennent pas ce qu’elles (font) ». Il explique que certains programmes pareils à ChatGPT fonctionnent par statistiques et donc par déduction ; ils ne sont dotés d’aucun jugement leur permettant d’accomplir pleinement les tâches demandées et par le fait même d’aider un-e étudiant-e à apprendre.
Chose certaine, l’application aveugle de ce type de technologie est une crainte partagée par l’ensemble des intervenant-es présent-es à l’émission. Selon France Lafleur, bien que l’intégration de l’IA soit inévitable, il est nécessaire, voire primordial que les instances gouvernementales et universitaires prennent du recul afin de se pencher sur la question. Martine Peters quant à elle, appréhende le « dé- calage des connaissances technologiques entre professeur-es et étudiant-es tandis qu’Éric Martin craint une « robotisation de la société » et sonne l’alarme quant à la nécessité de réfléchir collectivement sur les limites de l’implication de l’intelligence artificielle dans la vie scolaire, politique, culturelle et économique de la province.
LE GOUVERNEMENT CONSCIENT DES DÉFIS EN ENSEIGNEMENT
Le 15 mai dernier, le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, le Conseil supérieur de l’éducation et la Commission de l’éthique en science et en technologie ont tenu la Journée sur l’intelligence artificielle en enseignement supérieur où expert-es, professeur-es et étudiant-es ont pu discuter des nombreux défis à relever face à la présence croissante de l’IA sur les campus collégiaux et universitaires. Cette rencontre a permis de mettre sur pied un comité d’experts qui mènera une série d’analyses, de consultations et de réflexions sur le sujet. Une initiative de bon augure selon France Lafleur qui considère qu’il est essentiel d’ « éduquer (rapidement) les enseignant-es à développer une capacité de réflexion » afin de mieux « comprendre la machine ». Un point de vue partagé par Martine Peters qui croit qu’il est possible d’enseigner aux étudiant-es à utiliser des plateformes comme ChatGPT à bon escient. Tout le contraire d’Éric Martin qui souhaite que le gouvernement écoute davantage les revendications des professeur-es et des enseignant-es en ce sens et n’y voit qu’une « remise en question sempiternelle du système éducatif ».
LE TRAIN POURSUIT SA ROUTE
Toutefois, le consensus semble sans équivoque lorsque vient le temps d’aborder le futur de l’enseignement à l’heure de l’IA : les trois panélistes souhaitent une réponse rapide de l’État et des institutions scolaires. Tous et toutes s’accordent sur la mise sur pied de balises claires dans son utilisation ainsi qu’une transformation, voire une « révolution » du monde de l’éducation au Québec. Le train de l’intelligence artificielle poursuit sa route, le milieu de l’éducation saura-t-il le freiner ? Seul l’avenir nous le dira.