Photo : Dominic Bérubé

Lors de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, le 16 octobre dernier, plus de 350 personnes issues du milieu communautaire et représentant plus de 150 organisations se sont rassemblées au Parc Laviolette,. Cette manifestation, organisée par la Table régionale des organismes communautaires en santé et services sociaux du Centre-du-Québec et de la Mauricie (TROC CQM), s’inscrivait dans le cadre de la campagne nationale Engagez-vous pour le communautaire. Au cours de l’événement, plusieurs discours marquants ont été prononcés, notamment par Sylvie Tardif, Joanne Blais et Sylvain St-Onge. La Gazette a choisi de mettre en lumière les points essentiels de ces interventions.

Situation de pauvreté

La première à discourir a été Sylvie Tardif, coordonnatrice générale du Centre d’organisation mauricien de services et d’éducation populaire (COMSEP). Son discours faisait le lien entre cette manifestation et la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Quatre points importants ont été abordés. Premièrement, Sylvie Tardif a fait remarquer que tous les organismes communautaires sont concernés, de façon directe ou indirecte, par la pauvreté, que ce soit parce que des adultes ou des enfants  ne mangent pas à leur faim, ou encore parce que des femmes victimes de violences conjugales se retrouvent devant rien, par exemple.

Par la suite, elle a exprimé sa déception face au 4e plan d’action gouvernemental visant la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, établi pour la période de 2024 à 2029. Selon elle, la ministre Chantal Rouleau semblait comprendre les enjeux et était de bonne foi. Toutefois, elle n’aurait pas su convaincre le conseil des ministres. Pour Sylvie Tardif, ce plan de lutte s’oriente trop autour de la réinsertion professionnelle. « Le mantra de la ministre est qu’une sortie de la pauvreté passe par l’emploi. Nous autres, on croit ça aussi, que ça passe par l’emploi, parce qu’on a un beau programme d’aide à l’intégration à l’emploi. […] Mais il y a plusieurs personnes qui n’y arriveront pas. Il y a des personnes qui ne peuvent pas aller vers l’emploi à cause de leur condition sociale, et ces personnes-là, le gouvernement les laisse croupir dans la grande misère. »

Pour Sylvie Tardif, tous les paliers de gouvernement doivent reconnaître et respecter l’autonomie des organisations communautaires. D’une part, elle a revendiqué un financement adéquat : « Ce n’est pas avec l’augmentation qu’on a reçue la semaine dernière qu’on va aller bien loin. COMSEP, on ne se mettra pas riche avec ça. COMSEP a reçu cette année 2 388 $ d’augmentation. On avait demandé 400 000 $. C’est l’une des pires années. » De plus, elle a dénoncé le contrôle des subventionneurs. En effet, concernant la signature des conventions, certaines stipulent que les prestataires doivent demander la permission avant de s’adresser aux médias. Elle a ajouté que certains menacent de retirer les subventions si les prises de position de l’organisation communautaire sont en dissonance avec celles du subventionneur. En somme, le manque de financement adéquat ainsi que le contrôle briment l’autonomie du milieu communautaire, selon Sylvie Tardif.

Photo : Dominic Bérubé

Respect des droits et justice sociale

C’est la directrice de la Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie, Joanne Blais, qui a ensuite pris la parole, avec un discours portant sur le respect du droit fondamental aux soins de santé universels et sur la justice sociale. Elle a dénoncé le désengagement du gouvernement envers le milieu communautaire ainsi que la privatisation des services de santé et des services sociaux. « Cette vision mercantile de nos services essentiels vers laquelle nous glissons collectivement ne tient pas compte du droit à l’universalité des services, voire elle le compromet. Privatiser les services équivaut à prêcher pour un Québec à deux vitesses », a-t-elle affirmé.

Selon elle, cette vision met en péril le dispositif de protection sociale et les valeurs de la société québécoise. Elle a fait valoir que ce sont nos valeurs comme société qui sont en jeu aujourd’hui, alors que ce sont ces valeurs qui devraient guider les prochaines prises de décisions budgétaires : l’entraide, la solidarité, l’inclusion sont au cœur de la société québécoise, a-t-elle expliqué. Elle a également rappelé que les interventions et services du milieu communautaire « vont bien au-delà de la tâche professionnelle ».

Finalement, elle a aussi fait remarquer les inégalités qui caractérisent notre société, particulièrement en ce qui concernent les femmes : « Inutile de rappeler que ce sont majoritairement les femmes qui vont écoper, parce que les femmes, ce sont celles qui composent majoritairement les travailleurs et travailleuses du système de santé, des services sociaux, du réseau communautaire. Mais ce sont aussi les femmes qui sont majoritairement les utilisatrices des services de santé et des services sociaux. » En somme, pour Joanne Blais, la privatisation des services et le désengagement du gouvernement envers le milieu communautaire ne respectent pas le droit à l’universalité et vont aboutir à une augmentation des inégalités sociales, particulièrement pour les femmes.

Respecter l’autonomie

Pour clôturer cette série de prises de parole, c’est Sylvain St-Onge, directeur de la TROC CQM, qui a pris le micro. Il a relevé un paradoxe qui plane sur le milieu communautaire. En voulant décrire ce qu’est l’action communautaire, il a cité des passages du Plan d’action gouvernemental en action communautaire 2022-2027. En parlant de l’utilité de l’action communautaire, il cite les premières lignes du mot du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet : « L’action communautaire est une composante incontournable du développement social et économique du Québec. S’appuyant sur la mobilisation citoyenne, les milliers d’organismes qui participent à cette action conçoivent et mettent en œuvre des réponses innovantes et adaptées aux réalités de nos collectivités. »

Ce que Sylvain St-Onge tentait de dénoncer, c’était la pression accrue sur les organismes communautaires. Selon lui, l’indexation n’est plus suffisante. Alors qu’on parle d’indexation, celle-ci fait référence à l’ajustement périodique des montants des subventions pour tenir compte de l’inflation ou des hausses du coût de la vie. En théorie, ce mécanisme permettrait de garantir que les subventions allouées aux organismes communautaires continuent à couvrir les besoins réels de leurs bénéficiaires malgré la hausse des coûts. Or, en pratique, selon Sylvain St-Onge, cela ne reflète pas la réalité, parce que, avec la crise sociale que nous traversons – la nourriture, le logement, l’itinérance, la santé mentale –, les groupes communautaires font face à un accroissement des demandes de soutien alors qu’ils sont frappés par la crise de l’emploi. Le manque de fonds pousse des directions d’organisme à ne pas pouvoir offrir des conditions de travail alléchantes.

Sylvain St-Onge a terminé son discours avec une demande claire d’engagement de la part des instances décisionnelles, et a conclu en disant : « M. Legault a raison de dire que le gouvernement doit s’engager dans cette demande majeure et essentielle pour le Québec tout entier. M. Legault, vous devez, à l’instar du milieu communautaire, faire preuve de l’esprit de solidarité qui anime les Québécois et Québécoises. » Il faut soutenir adéquatement le financement des organismes communautaires tout en respectant leur autonomie. « Vous devez, M. Legault, vous et votre gouvernement, vous engager pour le communautaire. »

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